1ère Action Anti-Sexiste à Orléans.
Ce samedi 12 novembre était donc la date que nous avions retenue pour la première action anti-sexiste que notre Collectif avait décidé de mener.
Et pour cette première action, c'est la librairie "Passion Culture" ouverte, il y a tout juste 8 semaines, place de Loire, en marge du cinéma Pathé, qui a été choisie.
Il faut avouer que pour un magasin qui apparaissait de qualité sur deux étages, 1400m2 de surface et différents concepts semblant novateurs, l'agencement d'une partie du magasin en avait heurté plus d'un-e.
Le Collectif en avait été rapidement averti.
Cela avait effectivement enflammé le web local, les boîtes mails des un-e-s et des autres, avec en réaction immédiate, la tenue de deux réunions et la mise au point de l'action de ce jour.
Action si possible drôle, décalée, voire caustique, mais de toute façon non violente et respectueuse du magasin, sans déprédation aucune bien évidemment, mais tournant en dérision l'agencement sexiste de celui-ci.
Lors de ces deux réunions, il avait donc été décidé que les femmes se transformeraient en femmes à barbe et moustache pour se retrouver dans le rayon dont le genre n'était pas assigné à leur "rôle" et les hommes avec barrettes ou serre-tête, jupe, robe...pour être eux aussi en cet univers genré censé ne pas leur être ouvert.
Enfin qu'un 1er prix de sexisme et de discrimination de genre avec statuette et diplôme à l'appui lui serait remis.
Ces messieurs ont parfaitement su, comme nous, déconstruire les codes !
Mais revenons-en au début et à ces 15H, ce samedi 12 novembre, date et heure de notre RDV prévu devant le magasin.
A n'en pas douter, les infos recueillies promettaient une mobilisation conséquente pour cette première et avec si ce n'est la parité parfaite, une mixité certaine.
Pari gagné à ce niveau, de la petite quinzaine de personnes que nous espérions en ce long week-end du 11 novembre, c'est à près d'une quarantaine que nous nous sommes retrouvé-e-s au plus fort de l'action.
Cependant, l'afflux de personnes à l'extérieur se retrouvant devant le magasin, a attiré l'attention. Nous avons eu la surprise de voir arriver Sylvie Champagne, la gérante du magasin qui est venue à notre rencontre.
Courage qu'il faut lui reconnaître.
Sans doute pas simple de venir ainsi au devant de personnes que l'on sait ne pas être acquises à sa "cause", bien au contraire.
Echanges, puisque l'on ne pouvait parler de dialogues à cet instant, pour le moins si ce n'est virulent, en tout état de cause empreint de tentatives de culpabilisations et d'accusations grotesques. Nous pouvions parfaitement comprendre que se retrouver ainsi sur le devant de la scène et pas pour être encensée, était dérangeant.
Mais s'entendre dire pêle-mêle que :
- nous l'attaquions parce que c'est une femme, sous entendu, si c'était un homme nous ne l'aurions probablement pas fait...
- que tout cela était parti d'une lettre "anonyme", - allégation fausse puisqu'alors elle était interviewée par Mourad Guichard,
journaliste à Libération, sur le contenu d'une copie de mail, celui-ci protégeait tout simplement ses sources -
- nous la poignardions dans le dos en mettant en péril son entreprise par notre action, et qu'en conséquence sans doute en janvier elle serait contrainte de déposer le bilan, ce dont elle nous remercierait en nous écrivant une belle lettre,
- peut-être et elle se le demandait, nous avions été envoyé-e-s par la concurrence ?
- et qu'enfin en tant que femme, on ne pouvait la suspecter de "sexisme", compte tenu de son parcours : 17 années sans qu'on lui laisse les commandes et à devoir faire ses preuves en subissant la domination de chefs masculins, 1 année pratiquement sous tutelle masculine, une vie personnelle heurtée avec à la clé un départ avec ses 2 enfants dans un climat de violence ...
Bref visiblement, être une femme lui semblait être un argument incontestable la protégeant de toute accusation de "sexisme" ou de
"discrimination de genre".
Sauf que, sauf que...
Comme un homme elle nous a servi le même discours et les mêmes arguments culpabilisateurs du chef-fe d'entreprise se levant tôt le matin, ayant crainte de ne pas y arriver, à l'abri de toute critique puisque créat-rice-eur d'emplois, nous faisant le chantage à l'emploi, etc...etc...Mais non, décidément non, c'est pour nous une attitude inacceptable, que l'on soit Homme ou Femme.
Nous la félicitons d'avoir respecté une certaine parité, de rémunérer ses employé-e-s de la même façon qu'ils/elles soient hommes ou femmes, - en cela, elle ne fait que respecter la loi- mais non Madame Champagne ne peut se prévaloir de ses inquiétudes et craintes pour nous culpabiliser.
Nombre de femmes et d'hommes se lèvent comme elle, fort tôt chaque matin, ont de grandes craintes quant à leur avenir et/ou celui de leur entreprise, mais ce n'est nullement aux autres de supporter leurs peurs, mais bien à elle et eux d'assumer leurs choix et risques, tout en respectant l'éthique d'une vie en société ou Hommes et Femmes n'ont pas à être discriminé-e-s.
Trop facile de se parer de ces arguments de chef-fe d'entreprise créat-rice-eur d'emplois pour accéder au statut quasi "intouchable", "inattaquable", voire d'emblée d'être porté-e aux nues, de celui ou celle à qui on ne doit rien reprocher.
Cela suffit. L'éthique et il semble que Mme Champagne y réponde sur nombre de points, existe aussi.
La création de 15 emplois n'exonère pas de tout, n'autorise pas tout. Et le genre féminin n'est pas un alibi imparable prémunissant de tout sexisme.
Alors oui, nous avons osé. De plus, apprenant de sa propre bouche son parcours personnel, cela nous a semblé encore plus incompréhensible. Comme cet ultime argument, que de nous répondre que tout cela n'était que de la : décoration !
Pourtant, les femmes comme les hommes ne sont pas des potiches.
Les mots ont un sens, et ces deux vocables qui désignent pour chacun la moitié de l'humanité ne sont pas que des décorations, des totems-repères définissant des "univers" sexistes et genrés...
Pourquoi faut-il que lorsqu'une femme devient cheffe d'entreprise, ou accède à une fonction de pouvoir, nombre d'hommes et de femmes prétendent que sous sa gouvernance, c'est encore pire que sous celle d'un homme ?
Sinon que certaines pour y arriver se montrent encore plus machistes, sexistes que des hommes en compensant le vide de leur entrejambe par une volonté et un management que d'aucuns qualifient volontiers de "couillus". Dans ce monde impitoyable de l'entreprise, il semblerait que cette qualification soit un compliment...alors qu'elle ne fait qu'avaliser la violence vécue au quotidien par nombre de femmes et d'hommes dans leurs emplois.
La réussite au féminin doit-elle répondre à ces codes délétères ?
Nous sommes nombreu-x-ses à penser que non dans tous les domaines, et surtout pas en reprenant les stéréotypes sexistes.
Après ces échanges houleux, nous avons donc pénétré dans le magasin, gagné le rayon incriminé où Monique Lemoine a pris la parole au nom du CODF, pour féliciter Sylvie Champagne quant à l'agencement sexiste de cette partie de sa librairie tout en lui remettant statuette et diplôme.
Nous avons eu droit à une cliente passablement énervée, un tantinet aiguillonnée par deux vendeuses qui nous ont aimablement traité-e-s de "connes", en citant Audiard : "C'est d'ailleurs à cela qu'on les reconnaît, ils osent tout". Cliente qui en a profité, elle, pour nous asséner un : " Il y en a vraiment qui n'ont rien à foutre de leur temps, Pauvres filles, va "...
On voit d'où viennent les insultes et la grossiereté.
Mais merci Madame pour votre sexisme et merci Mesdames pour votre sympathique sens du paradoxe : vous nous avez montré le chemin, si cher à Audiard, en nous précédant !
Remarquez cependant, comme dans les propos mêmes de ces femmes, le sexisme est ambiant, récurrent, combien elles l'ont aimablement relayé, voyez pourtant comme sur les photos nous sommes hommes et femmes à dénoncer cet agencement, et combien ce sont les femmes qui ont été destinatrices des insultes...
Monique avec son humour habituel lui a rétorqué, qu'elle aurait beau en rajouter, la gérante ne lui ferait pas cadeau du livre qu'elle feuilletait, le tout sous les rires de l'assistance.
L'humour c'est bien ce qui sauve de tout.
Mme Champagne n'en a eu que peu au début, elle nous a filmé, bien entendu pas dans le but d'en rire, mais de porter preuve de l' "agression" que nous avions commise dans son magasin.
Nous avons même eu la surprise de voir arriver la police.
Police qui n'est pas intervenue, sans doute à la demande de Mme Champagne elle-même, puisque nous l'avons vue échanger quelques mots avec les agents qui sont assez vite repartis sans venir jusqu'à nous.
A la cliente irascible, a succédé une autre cliente très classe, élégante et pimpante, un peu surprise au début, mais qui entendant le sens de notre action l'a appuyée auprès de la gérante.
A cet instant, la discussion a enfin été amorcée, bien que Mme Champagne utilisant toujours des termes outranciers, nous a signifié qu'elle ne se mettrait pas à genoux devant nous, que nous ne la censurerions pas, qu'elle refusait de changer l'agencement du magasin.
Mais tandis que chacun-e reposait chaque livre à sa place, qu'elle reconnaissait que nous n'avions commis aucune dégradation - et nous en remerciait -, elle a eu l'idée de génie qui nous a permis de trouver un compromis en torpillant finalement les codes convenus.
Ce qui ne pouvait que nous satisfaire pleinement, d'autant que du coup, encore une fois, l'humour était le gagnant de l'affaire.
Sa proposition a été d'intervertir les mots "Femme" et "Homme", tout en laissant les rayonnages en place. Ce qui bien évidemment interpellera, à l'avenir ses clients et lui permettra de se défendre de sexisme en en sabordant les codes en vigueur.
C'est sur cette proposition, dont nous l'avons remerciée, que nous sommes parti-e-s. Proposition et mise en oeuvre qui lui vaudront à n'en pas douter un afflux de client-e-s dans son magasin.
Et nous serons sans doute les premièr-e-s à déambuler, flâner, choisir des livres sans aucune restriction.
Bravo Madame !
* Ceci n'est que notre première action, d'autres sont en cours de préparation et Noël s'avère très riche en période d'assignation des rôles, de discrimination et de sexisme, à suivre...
* Aujourd'hui vendredi 06 janvier, rien n'a changé malgré les engagements de Mme Champagne en novembre dernier Dont acte !
A voir aussi cette vidéo, réalisée par Steph qui montre et démontre la/les réactions de l'une et des autres.
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