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11 Dec

Se dire au revoir...

Publié par Circé  - Catégories :  #Ecriture, #Enfance et Souvenirs, #Hors du temps, #Chez moi, #Ailleurs

Il est bien difficile cet instant ultime, celui où nous devons dire au revoir à l’un des nôtres, à un proche. Alors quand c’est son Père, son Papa, celui qui est pour sa Mère, sa Maman, son mari, son compagnon de toute une vie, son meilleur ami et toujours son amoureux, ce sont 60 années de vie commune partagées, 60 années qu’il faut désormais poursuivre autrement, et nous allons toutes et tous devoir apprivoiser l’absence…

 

Je sais qu’il eût été facile de dire quelques phrases sobres, de circonstances, certes, mais interchangeables, et sans relief. Je ne pouvais m’y résoudre.

 

Parce que dire au revoir à mon père, à Papa, c’est avant tout dire sa vie, celle de Maman, mais aussi de nous permettre de poursuivre la nôtre, tout en conservant ce qu’il nous a apporté.

 

Papa, c’était juste avant ma naissance, un tout jeune homme de 20 ans qui est tombé amoureux d’une toute jeune femme du même âge que lui, ma Maman. Mariés juste avant qu’il ne soit envoyé en Algérie, là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, à Oran. Oran la belle. Il en parlera peu, mais nous sommes nombreux à savoir qu’il en avait gardé des gouts culinaires bien marqués. Françoise s'en souvient, elle qui lui avait encore préparé il y a peu un couscous auquel il a fait grand honneur...

 

Mais pour moi, cet ailleurs, j’en avais conscience par le surnom qu’il m’avait alors donné « sa petite mouquère ».

 

Mais mon Papa à moi, celui de mon enfance, c’est un grand gaillard, à la stature impressionnante, une armoire à glace comme nous avait dit des enfants de notre quartier à Bonneuil, ce qui avait fait sortir de ses gonds mon frère Thierry qui avait cru à une insulte. Une véritable carrure de rugbymen !

 

Cela tombe bien, il en était un. Un de ceux que Roger Couderc encourageait par un «  Allez les petits » qui est resté gravé dans nos mémoires.

 

Combien je chéris ce souvenir, celui où jouant dehors, nous avions décidé mes frères Joël, Thierry et moi-même de le suivre pour assister à l’un de ses entrainements. Désolée pour toi, Frédo, mon petit frère, tu étais encore dans tes langes auprès de Maman. Nous, pendant ce temps-là et bien on le suivait à distance, pour ne pas se faire prendre, parce qu’évidemment, nous avions interdiction de le faire, l’endroit où il se rendait étant et à raison dangereux. L’avenue qu’il fallait traverser était très passante et nombre d’enfants s’y étaient fait renverser. Qu’importe, nous avons traversé en nous donnant la main et en regardant bien à droite et à gauche. Puis, nous nous sommes cachés dans les hautes herbes pour te voir évoluer sur le terrain, Papa.

 

Et nous étions fiers, si fiers, lorsque tu as marqué un essai magistral. Nous étions tellement enthousiastes que nous n’avons pas pu nous retenir et que nous nous sommes dressés en vociférant «  Ouais, Ouais, Ouais… il a gagné, il a gagné… »

 

Ben flûte, nous aussi, nous avions gagné. Nous n’avons pas échappé à tes  réprimandes, ni au ton sévère que tu pouvais avoir en pareille circonstance, lorsque tu nous as ramené à la maison. Et cela au grand soulagement de Maman, qui nous cherchait partout avec inquiétude.

 

Mais poursuivons, dans notre histoire commune. A la maison nous savions qu’il y avait un instant sacré pour toi, celui des informations sur la seule chaine télé qui existait alors, et qui était en noir et blanc. Un véritable défi que de nous faire tenir tranquille…

 

Et cela ne manquait jamais, tu finissais par envoyer l’un d’entre nous dans notre chambre pour nous calmer, ce qui un jour t’a valu un sonore «  Et bien puisque c’est comme ça, moi j’aime bien De Gaulle » de la part de Titi avant qu’il ne parte en 4ème vitesse. Et nous avions tous vu alors que tu te mordais les lèvres pour ne pas éclater de rire.

 

Parce que c’était chose certaine à la maison, le Grand Charles et toi, ce n’était pas vraiment une histoire d’amour. Pourtant lorsqu’il est décédé et qu’aux infos ils avaient diffusé quelques images de ses obsèques, tu nous avais fait lever. Quelle belle leçon de respect tu nous avais donné là Papa. Et combien cela fait écho aujourd’hui à mes engagements.

 

Pour vous les amis, si vous ne le saviez pas, à la maison, les journaux qui trônaient en majesté, c’était « La Vie Ouvrière », le journal de la CGT, l’Humanité, et puis aussi l’Humanité Dimanche. Communiste un jour, communiste toujours, hein Papa ?

 

Bon, nous, les gamins, nous attendions le Pif Gadget, et ce n’était pas toujours facile de se le partager le gadget d’ailleurs...

 

De temps en temps pourtant Papa, tu faisais des infidélités à tes journaux préférés.

 

L’Aurore… Hum, hum, non pas qu’il y ait eu quelques articles qui t’intéressaient, non, mais l’Aurore avait un seul avantage à tes yeux, sa page centrale consacré aux mots croisés.

 

Dire que tu étais un cruciverbiste plus qu’avisé, est en-dessous de la vérité, tu étais un véritable champion, finissant des mots croisés de force 6 en des temps incroyables. Je te revois crayon à papier en main, gomme et gros Larousse à tes côtés. Tu étais devenu une véritable encyclopédie. Il nous suffisait de te donner une définition, le nombre de lettres et aussitôt le mot fusait. Et puis tu es passé au sudoku. Et comme je suis toujours fâchée avec les chiffres et bien je ne t’ai pas suivi sur ce terrain-là, où tu étais tout autant émérite.

 

Dans mes souvenirs, il y a aussi cette fameuse tome de savoie que tu avais ramenée de tes pérégrinations, celles où te conduisaient ton travail. Une belle tome de Savoie appétissante et que tu as eu le malheur de poser sur la table de la cuisine. Puis tu es allé te coucher au moment où nous nous levions. Tu travaillais de nuit. Au repas du soir, curieusement nous n’avions guère faim. Et au moment de passer au fromage tu as compris pourquoi.

 

Les morfales comme tu nous appelais, avaient fondu comme une bande d’affamés que nous étions sur ce magnifique fromage. Nous avions laissé juste ce qu’il fallait pour dire que nous avions pas tout englouti.

 

Je crains qu’aujourd’hui nous ayons faim de ta présence, alors il faut bien que nous repensions avec sourire à ces instants pour continuer à vivre sans toi.

 

Le temps est passé. Nous, tes enfants avons grandi. Le temps de l’adolescence est arrivé. Pas toujours facile ce temps-là. Celui où on se permet de juger ses parents, toujours brut de décoffrage, empli de certitude, mais sans tout comprendre. Il nous faut grandir. Mais combien c’est difficile.

 

Tu avais alors cette phrase lorsque nous n’étions pas d’accord : «  Toi aussi, la vie va t’apprendre à vivre… »

 

Elle résonne souvent en moi cette phrase. Parce que oui, La vie m’a appris à vivre, à grandir, à assumer, échecs ou réussites, même avec retard. Vous étiez fiers Maman et toi lorsque je vous ai annoncé que j’avais réussi l’équivalence de mon BAC, à 44 ans avec 15,5 de moyenne. Mais vous aviez regretté que je n’ai pas poursuivi mes études plus jeune. Peu importe, dès le lendemain vous m’aviez rappelé pour m’emmener en vacances avec Léa et Clara, vos "Chéries noires" pour fêter ce diplôme. Et les petites bestioles, façon dont Clara parlait des coquillages que nous ramassions, sont elles-aussi restées en nos mémoires…

 

Le temps qui passe… Les petits enfants sont arrivés, avec ce que réserve la vie  comme soucis et inquiétudes, puis les arrières petits-enfants. Une belle image qui nous restera à Maman, Léa et moi, est celle de ton arrière petit-fils Kaydenn qui t’a embrassé avec un grand sourire avant de te faire un petit signe de la main pour te dire au revoir. Et cela juste avant que tu ne sois hospitalisé pour la dernière fois.

 

Papa, je sais aujourd’hui que l’on ne construit pas sa vie contre son enfance, ou contre ses parents mais bien avec… Que l’on peut avoir pour ses enfants, des espoirs et même des ambitions. Et que l’inquiétude peut nous rendre très maladroit, et la colère mauvaise conseillère… Et que souvent aussi, nous nous contraignons au silence…

 

Le silence, celui que nous gardons souvent dans notre famille, parce que nous avons bien du mal à nous dire que nous tenons les uns aux autres, comme une pudeur, comme une retenue insurmontable. Nous prouvons souvent en actes, mais nous restons taiseux.

 

Alors Papa, ici et maintenant je te le dis, je vous le dis, à toi Maman, à vous mes frères, mes enfants, petits-enfants, neveux et nièces et leurs Mamans, je vous aime… Vous m’êtes indispensables comme l’air que je respire, comme le soleil qui nous chauffe et nous éclaire, comme la nuit qui nous accueille en son repos. Vous êtes les racines de l’Histoire de notre famille. Et vous les amis réunis à nos côtés, si chers à notre cœur, vous êtes les feuilles de cet arbre, qui bruissent de tendresse et d’amitié.

 

Papa, voilà, j’en ai fini. Je vais, nous allons devoir nous quitter. Tu nous as passé le flambeau, nous devons maintenant faire au mieux pour relever le défi d’une vie bien remplie.

 

Au revoir Papa, nous t’aimons.

 

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G
Que d'amour et d'émotion dans ce bel hommage.
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C
Merci Gilles.
D
Une très belle histoire d'amour, on ne dit jamais assez aux gens qu'on aime qu'on les aime, après, c'est trop tard, ils ne peuvent plus l'entendre . J'ai souri à l'évocation de De Gaulle, et de Pif le chien, qui me faisait office de bréviaire, et je me souviens que mon père rentrait tard le dimanche, après la distribution de l'Huma dimanche, et ma mère râlait , eh oui, tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir un père communiste, comme nous ! Et le mien était un pur et dur, d'où des discussions animées avec mes frères qui lui parlaient des goulags, il ne voulait rien entendre ! Heureusement, les idées ont évolué sur le fameux bilan globalement positif ! <br /> Et nous voilà grands-mères à notre tour, passeuses de tout l'amour qu'on a reçu .
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C
Pour ma part Danielle, celle qui a remis en cause le "bilan globalement positif ", c'est moi.<br /> Cela nous a valu des discussions sans doute aussi houleuses que chez toi.<br /> Cependant je n'ai jamais oublié tout ce que les militant-e-s engagé-e-s nous avait apporté. <br /> Sans doute pour cela qu'aujourd'hui, je le suis, engagée, et que j'ai repris ce flambeau. Pareillement et autrement et comme le disait Ferrat, " c'est un joli nom camarade. Les valeurs portées aussi, et à l'heure où la déboussole nous gouverne, le chemin de l'Humain d'abord me guide.<br /> Mon père était fier de cela.
L
Il m'a fallu m'y prendre à 3 reprises pour comprendre que les commentaires sur ton blog sont modérés
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D
Bien sûr Circée , moi aussi j'ai cette belle utopie au coeur et au poing : " Au nom de l'idéal qui nous faisait combattre et qui nous pousse encore à combattre aujourd'hui ."
C
Désolée, cela date d'il y a un petit moment.<br /> Une sécurité quant à la publication de commentaires injurieux et/ou diffamatoire.<br /> Et pas grave du tout, j'ai validé trois fois.<br /> Merci pour vos pensées qui me touchent.
L
Avec ta prose tu m'a fait rire et pleurer...<br /> Chapeau à l'artiste que fut ton père... <br /> J'admire cette race supérieure capable de remplir des grilles de mots ou de chiffres. Ma femme les résout en un rien de temps, ces grilles de sudoku de niveau difficile voire diabolique... j'en suis bien incapable ! <br /> Toutes mes condoléances
Répondre
L
Avec ta prose tu m'a fait rire et pleurer...<br /> Chapeau à l'artiste que fut ton père... <br /> J'admire cette race supérieure capable de remplir des grilles de mots ou de chiffres. Ma femme les résout en un rien de temps, ces grilles de sudoku de niveau difficile voire diabolique... j'en suis bien incapable ! <br /> Toutes mes condoléances.
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