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29 Aug

Graine de Terroriste...(FIN)

Publié par Circé  - Catégories :  #Chroniques Circéennes, #Souvenirs et Petite Histoire, #Ecriture

Nous voici à la mi-octobre. Trois semaines que la rentrée des classes s'est effectuée. Trois semaines que j'ai intégré le cours élémentaire 1ère année.

 

L'école primaire pour filles de mon quartier est située juste en face d'un petit centre commercial à ciel ouvert tel qu'envisagé dans les années 60 : une boulangerie, une boucherie chevaline, une pharmacie, un magasin de chaussures, une mercerie, un coiffeur et une supérette.

 

C'est en compagnie de Brigitte, ma petite voisine du dessus, que je parcours chaque jour, le chemin qui sépare notre domicile de notre école. Je dis petite et pourtant elle est mon aînée d'une année. Aussi blonde que je suis brune. Un regard limpide et clair aux yeux verts, couleur lagon polynésien, tandis que les miens sont châtaigne, comme celles que nous ramassons sur notre chemin des écolières en ce début d'automne 1963. Sa peau est à l'encan, blanche et laiteuse, aussi dissemblable de la mienne que le reste. J'en parais encore plus cuivrée au retour de mes séjour et vacances chez mes grands parents.

 

Nous sommes physiquement à l'opposé l'une de l'autre. Pourtant, c'est Brigitte qui est une enfant de "rapatriés" d'Algérie, comme disent les adultes. Nous n'y comprenons pas grand-chose toutes les deux, sauf qu'elle a dû fuir son pays dont elle regrette tout : la lumière, la chaleur, la blancheur de ses maisons aux rues bordées de palmiers, sa douceur de vivre, avant...avant... Et puis aussi ses amies, sa famille dispersée. Brigitte est douce et timide et d'un tempérament placide. Elle se comporte gentiment avec moi, me tient par la main tout au long du chemin, et me parle avec son joli accent chantant.

 

Ce qui nous réunit, je crois, est cette nostalgie d'un ailleurs, autrement. Elle, de sa belle ville d'Oran, de l'autre côté de la Méditerranée, moi de cette campagne que j'ai courue, arpentée jusqu'à l'âge de 7ans, en compagnie de mes oncle et tante.  Tout cela pour atterrir dans cette ville de banlieue, qui à la manière d'une ogresse mythologique dévore tout sur son passage, chaque coin de verdure, de vergers, de champs, pour y implanter ses cubes de béton.

 

Mais aujourd'hui c'est jeudi. Alors, même s'il nous faut moins de 10 minutes pour arriver à notre école, en empruntant le trottoir qui longe notre bâtiment pour  traverser ensuite le porche à droite en son extrémité et poursuivre sur l'allée qui conduit quelques 300 mètres plus loin à son entrée, ce matin, nous sommes toutes deux chez nous.

 

D'ailleurs, "l'Autre" est grognon, ce matin.

 

Je continue à le bouder bien que cela fait près d'un mois que nous sommes revenus, mes frères et moi. Il a beaucoup grandi, je le vois bien, même de loin. Il est plutôt sage et souriant, gazouille tout au long de la journée, et même ri aux éclats lorsque mon plus jeune frère lui fait des grimaces, penché au-dessus de son lit.

 

Mon père et mes frères sont absents en cette matinée. Il est allé s'entrainer au rugby et a emmené mes frères avec lui, histoire de laisser un peu de répit à ma mère. Il m'a bien proposé de l'accompagner, mais j'ai refusé. Hier au soir, il m'a repoussé d'une plaisanterie alors que j'essayais d'occuper son second genou vacant alors qu'il tenait "l'Autre" sur le premier.

 

- " Les caresses de chat, cela donne des puces..." m'avait-il dit d'un air moqueur. Sans un mot je m'étais éloignée malgré ses appels secoués de rire, et depuis, je le boudais lui aussi.  

 

Je suis seule dans l'appartement avec l'Autre. Ma mère m'a demandé de le veiller, juste un instant, même de loin, pour aller demander justement à la Maman de Brigitte si elle n'avait pas ce médicament salvateur qui pourrait le libérer de ses maux de ventre.

 

Car L'Autre a mal au ventre. Et il pleure en cet instant. Et j'ai beau guetter l'ouverture de la porte d'entrée et espérer l'apparition de ma mère, rien ne se passe. Ses pleurs me déchirent le cœur. J'ai l'impression que quelque chose fond en mon for intérieur., qui me conduit à pénétrer dans la chambre où il repose, et à me pencher au dessus de son petit lit.

 

Il est là, le visage baigné de larmes, se tortillant dans ses langes. Je m'essaie à le prendre dans mes bras, à le soulever. Il est lourd. Je sais que je ne pourrai pas le mettre dans sa chaise. D'ailleurs, comme il est langé ce matin, ce sera impossible.

 

Je prends donc la couverture recouverte d'un drap que ma Mère utilise pour repasser le linge, l'étend sous la table de la salle à manger et prend mon oreiller. Puis je retourne prendre "L'Autre". Il pleure toujours là, au fond de son lit. Je l'agrippe fermement sous ses petits bras, puis le remonte jusqu'à moi. Il semble surpris et son petit visage chiffonné s'éclaire. Je traverse la chambre avec mon paquet de linge dans les bras, me met à genoux sous la table et le pose délicatement sur l'agencement de tissu et coussin que je lui ai préparé.

 

Il ne pleure plus. Ses petites menottes enserrent mon visage et il me fait l'un de ses adorables et irrésistibles sourires. Et les mots se mettent à couler. Doux et tendres pour essuyer ses larmes :

 

- " Mon Frédo, pourquoi tu pleures ainsi Petit Frère ? Ne t'inquiète pas. Maman va revenir. Et je suis là moi..."

 

Il s'agite dans son lange dont j'enlève les épingles à nourrice, prenant bien garde à les refermer pour ne pas prendre le risque qu'il ne se pique en bougeant. J'ai vu faire ma mère faire cela. Je l'ai longuement observer de loin, sans jamais m'approcher, mais j'en connais tous les rituels. Il semblerait bien que Frédo soit mouillé.

 

Frédo, pour Frédéric. Son petit surnom chante en moi et a remplacé "l'Autre". Je vais chercher deux couches propres dans l'armoire de mes parents ainsi qu'une de ces culottes bouffantes en plastique que l'on met par dessus. Et je prépare aussi une petite bassine d'eau tiède dans lequel je mets un gant propre lui aussi avec à côté le un savon spécial à l'huile d'amande douce que ma Mère réserve pour sa toilette. Délicatement je lui enlève ses couches souillées d'urine et lui lave ses petites fesses potelées. Frédo gazouille et rit, bat des mains et des pieds, veut attraper mon visage. Je lui chantonne une comptine pour enfants.

 

Au moment de l'essuyer, je me rends compte que j'ai oublié la serviette, qu'importe le drap qui recouvre la couverture fera l'affaire et tant pis si je me fais gronder. J'installe la couche carrée sous ses fesses, puis celle en pointe et refais les gestes copiés sur ceux de ma Mère. L'assemblage parait moins serré, moins parfait, mais qu'importe. J'y ai remis les épingles à nourrice qui fermaient également les couches, en prenant bien garde, là-aussi, de ne pas le blesser.

 

Mais je lui ai laissé ses petites jambes à l'air. Me voici allongée à ses côtés, à lui parler. Je vois bien qu'il se tortille parfois, mais en attendant il joue avec mes cheveux, rapproche sa petite bouche de mon visage pour faire l'un de ses câlins que je l'ai vu faire à mes frères, et colle son petit visage au mien.

 

La porte d'entrée vient de s'ouvrir. Ma mère qui s'est précipitée dans la chambre ne nous a pas vus. Elle m'appelle et pénètre d'un même élan dans la salle à manger où elle nous aperçoit.  D'abord un peu inquiet, son visage s'éclaircit, puis s'épanouit en un large sourire.

 

- " Oh ma Chérie, comme c'est gentil de t'être occupée de Frédo. Mais tu as réussi à le porter jusque là ? Comme c'est une bonne idée ton installation et comme il est heureux d'être avec toi. Tu as vu comme il aime être là ? Vraiment je te félicite. Et en plus tu l'as changé ? Vraiment, vraiment, je suis très fière de toi. J'ai un peu tardé, excuse-moi. La Maman de Brigitte n'a pas le médicament pour Frédo, et en plus Brigitte est malade. Je voulais lui demander si elle pouvait aller à la pharmacie me l'acheter, mais là cela va être difficile. Il faut que je vous prépare tous les deux, et nous allons y aller..."

- " Mais Maman, je peux y aller moi, tu sais. C'est juste à côté de l'école, et je sais y aller toute seule je t'assure..."

- " Mais ma Chérie, tu n'as que sept ans..."

- " Maman, je vais me dépêcher, et puis c'est facile tu sais..." et je lui décris pour la convaincre, le parcours jusqu'à la pharmacie située en face de l'entrée de mon école.

 

Frédo, dans les bras maintenant de ma Mère, se remet à pleurer, et c'est ce qui finit par l'emporter sur sa décision.Ce sera une première là-aussi, mais pour Frédo, que ne ferai-je pas.

 

Ma mère me tend des vêtements propres,- elle fera lessive dans l'après-midi -, ainsi que son porte-monnaie dans lequel il y a un billet de cinq francs et, inscrit sur un papier le nom du médicament.

 

- "Mais Maman, je m'en souviendrai du nom, je n'ai pas besoin du papier..."
- " Ce n'est pas grave, garde-le et si tu n'en as pas besoin, et bien tu demanderas directement au Pharmacien..."

 

Me voici partie, ma Mère me surveille par la fenêtre côté chambre, jusqu'au bout du bâtiment, puis passée le porche, je m'aperçois qu'elle me regarde par la fenêtre de la salle à manger. Je lui fais un petit signe de la main et presse le pas. Frédo attend et n'est pas bien.

 

Me voici arrivée à la pharmacie. Il y a deux personnes devant moi, et deux qui sont arrivées ensuite. C'est à mon tour.

 

- " Et toi ma Petite, qu'est-ce que tu veux ? " me demande le Pharmacien, un grand costaud, à l'accent pied noir que je reconnais - et pour cause - , arborant fièrement une superbe moustache noire.

 

J'ai le porte-monnaie en main. Je me refuse à lui tendre le papier sur lequel ma Mère a inscrit le nom des suppositoires que je viens acheter. Car il s'agit bien de cela. Mais, je suis tellement intimidée que j'en perds mes moyens et reste silencieuse.

 

- " Et bien alors ma Petite, tu ne t'en rappelles plus ? Je suis certain que ta Maman a mis un papier avec son nom dessus, dans le porte-monnaie que tu tiens là..."

 

Mon sang ne fait qu'un tour.

 

- " Si je m'en rappelle, même que c'est pour mon petit frère qui a mal au ventre d'abord. Je veux des suppositoires à la, à la... - flûte d'un seul coup le nom m'échappe - "
- " A la quoi, ma Petite, allez tu vois il y a des personnes qui attendent, tends moi ton porte-monnaie "
- " Non, je m'en souviens ! "  dis-je d'un air buté,
- " Je veux des suppositoires à la Nitro-Glycérine ! "

 

Consternations et silence dans la pharmacie. Avant que des rires sonores ne l'emplissent à ma grande honte. Le Pharmacien se gondole autant que les personnes présentes. Et je suis rouge, verte, écarlate...

 

- " Mais malheureuse, tu veux tous nous faire sauter ou quoi ? me dit enfin le Pharmacien entre deux gloussements, tandis que les rires repartent de plus belle.
- " Je crois que tu veux des suppositoires à la glycérine, hein ? entends-je entre deux hoquets du personnage...
- " Allez tends-moi ton porte-monnaie" dit-il d'une voix étranglée d'avoir trop ri
- " Que je vérifie tout de même..."

 

Je ne sais plus où me mettre, j'ai envie que le sol s'ouvre sous mes pas et m'engloutisse tant je me sens mal...

 

Le pharmacien a vérifié et me tend désormais le petit paquet qui contient toute ma honte. Il me redonne mon porte-monnaie dans lequel il a mis un mot, tout en pouffant toujours de rire.

 

- " Graine de terroriste ! Va, à moins que tu ne sois une Révolutionnaire en herbe ? Une Che Guevara en jupon, hein ? "

 

Et c'est reparti pour un tour, ils sont tous hilares et je cours plutôt que je ne sors du lieu. Je rentre précipitamment, tends paquet et porte-monnaie à ma Mère qui me félicite encore, et cours me réfugier dans un coin de la salle à manger. Elle se rend bien compte que quelque chose ne va pas, mais pour l'heure Frédo pleure de nouveau et elle s'occupe en premier lieu de lui.

 

Puis me demandant ensuite ce qui s'est passé tout en ne rencontrant que mutisme de ma part, elle finit par ouvrir le porte-monnaie. Elle lit le mot écrit derrière le nom du médicament qu'elle avait inscrit, tandis que je sombre de nouveau dans une honte sans nom. Mais elle sourit et se mord les lèvres pour ne pas rire. Elle ne me dira rien.

 

Plus jamais je ne remettrai les pieds dans cette pharmacie, tandis que le tenant de l'officine me reconnaitra à chaque fois que je passerai à proximité, et  qu'il aura conté maintes fois cette mésaventure à nombre de ses clients. Et dès qu'il le pourra, il m'interpellera alors toujours par ses mots :
- " Alors, comment elle va aujourd'hui notre Petite Révolutionnaire ? Un attentat en vue ? "

 

En attendant, ma Mère qui voit passer un nuage dans mes yeux m'appelle.

 

- " T'inquiète pas ma Mino, c'est bien, tu m'as rendu un grand service aujourd'hui et puis tu vois ton Petit Frère t'aime beaucoup, allez viens à côté de lui..."

 

Il était sur le pot, et tandis qu'elle le maintenait assis, il venait de larguer son premier explosif...!!!!!
 

* A mon petit frère Frédéric, que j'aime tant malgré la distance, et à qui la vie sourit encore, tandis que la grande faucheuse vient de lui accorder un nouveau répit après une année de douleurs et craintes ... A mon petit fils, Mr Bubulle qui vient de me remémorer par ses embarras intestinaux ce grand moment d'histoire enfantine...

 

Graine de Terroriste...(FIN)
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D
Sept ans, et déjà une sacrée dynamite ! C'est un plaisir de te lire , Longue et heureuse vie à ton petit frère Frédéric, et à Bubulle ! <br /> Et quand même la nitro-glycérine est utilisée en médecine sous le nom de trinitrite ...
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C
Coucou Danièle. Et merci pour ton ton commentaire.<br /> <br /> Mon petit frère aujourd'hui 50 ans passés. Mais il reste mon petit frère. L'année écoulée a été très dure pour nombre des membres de ma famille dont lui. Mais le traitement qu'il a subi et dont il a été l'objet-cobaye a marché alors que ses jours étaient comptés.<br /> <br /> Alors et quoiqu'il en soit, que demander de plus ?

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