Les Hirondelles (I)
Le mois d'avril en est déjà à son premier quart.
Le printemps est bel et bien annoncé, en dehors du calendrier obligé.
Partout les couleurs ressurgissent.
Les corolles des jonquilles et narcisses s'épanouissent.
Les jacinthes odoriférantes exhalent leurs effluves printanières tandis qu'un tapis de violettes recouvre les sols mousseux des pelouses tout juste sorties des derniers et tardifs frimas de l'hiver.
L'or des forsythias fascine les yeux fatigués par tant de jours passés, gris, sombres et froids. L'air s'est attiédi.
La voute céleste, lumineuse et teintée d'azur me le confirme : Le Printemps est bien là.
Pourtant, il me semble imparfait.
Ressemblant à une image papier glacé, photographie sans vie, la reproduisant cependant mais sans le nécessaire souffle vital qui s'y rattache.
Car au ciel, une remarquable absence.
Au ciel, un singulier silence.
Nul « paraphe noir » si cher à Aragon n'envahit, ni ne zèbre le firmament.
Nuls vols et trisses singuliers n'emplissent l'air.
Du sud où elle a migré l'automne venu, l'aronde, l'hirondelle n'est pas revenue.
Sur les rivages plus accueillants de la Mer Méditerranée est-elle restée ?
Ou bien a-t-elle regagnée les terres lointaines des peuples dogons et bambaras où en Divine Messagère du démiurge Faro, maître des eaux et du verbe, elle apporte en son nom prospérité et fécondité ?
Je ne sais, mais nos cieux sont orphelins.
Pour combien de temps encore ?
Dans mon enfance, le retour des hirondelles signifiait bien évidemment le Printemps.
Mais qui disait Printemps disait aussi vacances.
De Pâques bien sûr, et surtout d'été.
Vacances signifiant également pour moi, départ de la grande ville pour regagner le village où mon grand-père officiait en tant que receveur des postes et Télécommunications.
Il y occupait avec ma grand-mère ainsi que mes oncle et tante un petit logement de fonction, tout en ayant par ailleurs en location une petite maison.
Maison qui servait beaucoup, les vacances venues, à nous accueillir, nous les petits enfants, mais également toute notre vaste famille.
Pour l'heure, une grande cour nous attendait à l'avant de la bâtisse administrative qui jouxtait à la fois la place du village et par conséquent l'église et la mairie.
Interdite cependant, aux enfants que nous étions, tant que le bureau de poste était ouvert.
C'est à dire de 08h30 à 12h et de 14h à 17h30 .
Un rêve aujourd'hui quand au service rendu lorsque l'on sait que le nombre d'habitants ne dépassait pas à cette époque les quatre cents âmes !
A l'arrière un grand jardin séparé en deux parties.
Un puits en son milieu et l'allée qui permettait d'y accéder en marquaient les limites.
A la gauche du puits, un potager et un verger .
Pommes, poires, mûres, framboises, fraises... étaient au rendez-vous des gourmands.
J'avais pour ma part un goût prononcé pour les fraises ventrues, bien rouges et bien sucrées que mon grand-père aimait à faire pousser.
Il le savait et me réservait toujours trois plants particuliers.
Une attention, lien que d'aucun qualifierait volontiers de préférence, si ce n'était que j'étais son premier petit enfant tout autant que pendant longtemps sa seule et unique petite fille.
Sans compter que j'avais été élevée, guerre d'Algérie aidant, par mes grands-parents jusqu'à pratiquement l'âge de sept ans.
Une affection mutuelle nous unissait.
Qui n'a cessé de se concrétiser tout au long de mes premières 24 années de vie avant que la mort ne l'emporte.
Et il y avait eu tant de rires, de joie, de bonheur partagés.
Me revient à cet instant cette anecdote drolatique :
Mon grand-père m'accompagnant à la maternité pour mettre au monde mon premier enfant sous le regard interloqué des infirmières qui pensaient qu'il était mon mari.
Celui-ci, le vrai, était alité avec 40° de fièvre, victime d'une mauvaise angine.
Mon grand-père me faisant remarquer l'ahurissement du personnel soignant, c'est l'œil narquois et en se rengorgeant d'importance que nous avons tous deux franchi, dans un grand éclat de rire, le seuil de l'hôpital où allait voir le jour mon enfant, son premier arrière petit-fils.
J'en garde toujours un souvenir ému et gouailleur à la fois.
Il avait été là si souvent pour m'accompagner à des moments importants de ma vie...
Pour revenir au jardin, il y avait bien entendu comme dans tout bon potager qui se respectait, les rangées de poireaux bien alignées, les carottes touffues, haricots verts feuillus, plants de tomates, choux, courgettes, cornichons, radis et autres pommes de terre...
Sans oublier les plantes aromatiques .
A sa droite (du puits), un jardin d'agrément avec des fleurs, où les géraniums, lys, glaïeuls, zinnias, pétunias, bégonias, fuchsias...le disputaient aux nombreuses plantes vivaces.
Et aussi un espace repas contre le mur mitoyen du jardin et de la sacristie de l'église voisine. Les branches d'un figuier en dépassaient et de nombreux fruits tombaient souvent à terre.
Hélas les rayons du soleil n'allant jamais très longtemps jusqu'à cet endroit, ils n'étaient jamais mûrs et donc inconsommables.
Enfin, et à proximité immédiate, un vieux poirier où était accrochée une balançoire, où ne manquions pas de nous élancer pour aller de plus en plus en haut.
« Jusqu'au ciel » comme nous le disions alors.
Comme le disent aujourd'hui mes petites filles qui ont pris cette relève.
Et je les écoute ravie et le cœur serré d'émotion.
C'était le lieu où nous passions nos vacances.
A vrai dire, celui où nous prenions nos repas et où nous dormions, puisque nous étions sans arrêt par monts et par vaux.
Le chant des grillons, le bond des sauterelles, l'envol des papillons multicolores, le bourdonnement des abeilles, les chant du coq et meuglements des vaches de la ferme toute proche étaient bien entendu aussi de la partie.
J'avais pour ma part une affection toute particulière pour le vol et le gazouillis des hirondelles .
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