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09 Nov

Le Vieux Lion (I)

Publié par Circé  - Catégories :  #Chroniques, Kabylie, Algérie, Ecriture

Le ciel incandescent est d'une pureté sinistre ce matin.
Lançant un défi à l'impie qui oserait soutenir son éclat, il ôte la vue à l'insoumis.

- " Prenez garde à vous, ô Hommes rebelles..." semble-t-il dire,
" Telle la lame affûtée d'un cimeterre chauffée à blanc, j'aveuglerai vos yeux plus surement que vous ne vivrez éternellement dans vos Paradis espérés !"
Et les hommes courbent le front et l'échine, pauvres âmes errantes égarées en ces contrées où la vie et la mort se confondent.

Pourtant le vol intempestif et incongru de quelques hirondelles échappées du minaret voisin ose trouer l'azur albugineux, tandis que leurs cris plaintifs et lamentables aiguillonnent le silence lourd et oppressant.


Le temps est suspendu, comme arrêté, frappé d'un sort funeste .
Le tintamarre de la vie s'est dissout dans le mutisme douloureux de la terre.
Pas d'automobile au klaxon rageur, de gazouillis enfantins, de rires graciles ou bruyants.
Ni d'interpellations braillardes, ou de poussière soulevée par le ballet incessant des poids lourds ronflant à l'approche de la côte, faisant hurler leurs boîtes de vitesse en abordant le versant accidenté de la montagne.

Ils sont tous là, taciturnes et secrets.

Hommes et Femmes confondus.
Marionnettes déboussolées, frappées de stupeur, anesthésiées de chagrin.

Le Vieux Lion n'est plus.


La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre de par le quartier, la ville, la région, le pays. Et ils arrivent de partout : Tamanrasset, Tizi Ouzou, Oran, Alger...
Telle une fourmilière en marche vers une destination inconnue du profane, la foule grossit de minute en minute.

Déjà la veille, et tout au long de la nuit les visiteurs incrédules s'étaient pressés en une longue procession respectueuse, sinuant de par la ville, longeant la mosquée, s'attroupant devant la porte de l'antre de celui qui n'était plus.
Nul n'y croyait malgré l'annonce.
Chacun se pensait habitant d'un cauchemar où son voisin le côtoyait inexplicablement.

La blancheur du linceul dessillait leurs yeux.
Les hommages alors, devenaient douloureux et pathétiques.

Leurs yeux se faisaient enfin regard.
Et leurs oreilles appréhendaient le bourdonnement des vivants.
Et leurs jambes apprenaient la réalité du poids de leurs corps.

C'est à cet instant que leur apparaissaient les visages des femmes.

Epouse, filles, soeur, cousines, voisines...
Une singulière garde rapprochée pour cette veillée de deuil, encerclait le corps du défunt.
En cette terre d'Islam, où leur présence est bannie pour ces rituels funéraires, nul ne s'étonna et nul ne contesta.

Elles avaient ainsi veillé toute la nuit.
Telles des ombres attachées à celui qui n'était déjà plus qu'un fantôme.
Un corps sans vie qui retournera bientôt à la terre nourricière.
Recevant les uns, servant les autres, présidant à la dernière journée sur terre du Vieux Lion.
Discrètes et résolues, muettes, mais obstinément présentes.

Rien ne les aurait arrêté. Il ne pouvait en être autrement.
Elles le lui devaient.
Lui qui les avait tant défendues, respectées, reconnues en dehors de toute autre considération de genre ou de sexe qu'il jugeait imbécile.

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" Pourquoi une Femme entière ne serait-elle qu'une moitié ? "