Eboueurs à Orléans : un métier de Nantis ?

C'est à peu près ce que certains élus de l'Agglo ont répondu aux éboueurs de l'agglomération d'Orléans, en lutte pour la reconnaissance de la pénibilité de leur travail et pour l'octroi d'une prîme mensuelle de 100 euros.

Petit florilège assez incroyable de réponses qui leur ont été faites :

- " Vous ne savez pas gérer votre budget, vous n'avez pas besoin de téléphone portable par exemple, ni d'écran plat ou autre console de jeux hors de prix pour vos enfants..."

- " De quoi vous plaignez-vous, au moins vous avez un travail, que diriez-vous si vous étiez SDF ou RMIste..."

- ou encore " Il faut pas être dans la démagogie, il faut être conscient aussi que les concitoyens, ils commencent à en avoir ras-le-bol, cela va faire 11 jours que cela s'accumule... moi dans ma commune, je peux pas accepter en tant que maire que cela continue encore très longtemps..."

Quoi d'étonnant d'ailleurs comme réponse lorsque le maire est estampillé divers droite ou Modem. Mais lorsque celui-ci se prétend "socialiste" (?), on se dit aussitôt qu'il y a vraiment au sein de ce parti un réel problème de latéralité en matière de positionnement et d'étiquette politique.

Pour ne pas en rester là et puisqu'on voudrait nous faire accroire que les ci-devant salariés, éboueurs de leur état sont des nantis, je suis donc allée à leur rencontre ce matin où j'ai passé deux heures en leur compagnie.

Riches en enseignement de toute sorte sur leur condition d'éboueurs, croyez-moi.

Et comme le savoir est une richesse qui se partage, à mon tour je vous fais profiter des connaissances que j'ai acquises sur leur métier : " Rémunérations somptuaires et avantages mirobolants acquis" entre-autres.

Organisation du temps de travail.

Trois équipes :
- 05h00-12H00 pour celle du matin, du lundi au samedi, avec une journée de récupération à prendre en semaine pour compenser le travail du samedi ("semaine anglaise").
- 12H00-20H00 pour celle d'après-midi, du lundi au vendredi.
- 19H00-02H00 du matin pour celle de nuit, du lundi au vendredi aussi.

Autrefois leur était payée l'heure qui suivait celles que je vous ai indiquées pour, comme leur fait obligation leur contrat de travail, nettoyer leur camion et prendre une douche !
Dois-je vous faire l'affront de vous expliquer pourquoi ?
Aujourd'hui, ils nettoient toujours leur camion, prennent toujours leur douche, mais ne sont plus payés !
Travailler plus, pour gagner moins donc !

En ce qui concerne les équipes, pas d'alternance prévue pour les salariés qui restent du matin, du soir ou de nuit, sauf...
Sauf, si vous avez déplu !

Ainsi par mesure de rétorsion, pour avoir regimbé, pas accepté une énième mesure qui grignote allègrement leurs droits et acquis, ils peuvent être déplacés, sans autre forme de procès à des horaires bien évidemment en complet décalage avec leur vie de famille, ou changés de quartier !

Pénibilité :

Un chauffeur pour conduire le véhicule et deux "rippers" qui vont chercher les containers pour les accrocher une plate-forme qui va ensuite les soulever, les faire basculer pour déverser leur contenu dans la benne qui elle-mêmeva ensuite les compacter.
Sachant que ces containers en poids et non en volume peuvent aller de 180 kg à 1 tonne selon leur taille, multiplié par le nombre de containers manipulés dans la journée, à vos calculettes !.

Pour ceux qui travaillent à Saran, dont le maire communiste Michel Guérin refuse à juste titre de payer les containers qui doivent être fournis par l'agglo, les employés soulèvent à bouts de bras les sacs d'ordures.
Sachant qu'une moyenne de 16 tonnes d'ordures ménagères sont ramassées sur cette commune chaque jour, qu'il ne sont que deux "rippers" à exercer sur Saran, derechef à vos calculettes, pour ceux qui hésitent quant au résultat d'une division par 2 ! 

Risques :

- Poussière, odeur, dermites, pathologies du squelette des métiers de force avec notamment lombalgies, sciatiques, hernies discales, déchirures ligamentaires, rotules abimées et aussi coupures suite à des objets qui au moment du compactage explosent littéralement puis sont violemment projetés sur eux, mais aussi piqûre de seringues usagées mises à même les sacs ou coupures avec des tessons de bouteille...

Résultats immédiats pour trois de mes interlocureurs :
- L'un a été blessé aux yeux en recevant de minuscules éclats de verre dans les yeux,
- L'autre est en cours de traitement préventif ( 6 mois ) pour éviter une contamination du VIH consécutive à une piqûre de seringue usagée,
- Le troisième a eu plusieurs points de suture au mollet, pour avoir avoir attrapé et jeté un sac dans la benne, un tesson de bouteille invisible à l'oeil nu ayant entaillé sac et jambe au passage !

Pourtant, certains ont eu des lunettes de travail pour éviter les projections, mais c'était il y a dix ans, quand aux masques qu'ils réclament surtout lorsqu'ils vont décharger à l'usine où les odeurs sont pestilentielles, ils attendent toujours le bon vouloir de l'agglo.

Par ailleurs, ils se semandent à partir de quelle température leur métier peut être déclaré en "intempérie" ?
Les transports scolaires sont interdits de circulation dans le département depuis deux jours.
Eux ? Rien ?
Pourtant certains matériels et leviers de sécurité ne fonctionnent plus du fait du gel.
Mais non, toujours rien ce matin.
Ah si, j'oubliais, la venue d'un huissier pour constater qu'il n'entravait pas le dépôt !

Santé :

Lorsqu'ils étaient employés de la ville d'Orléans et non de l'agglo, les éboueurs avaient droit à une visite médicale dans le cadre de la médecine préventive du travail tous les deux ans.

Depuis rien.

L'un d'entre eux n'a eu aucune visite médicale depuis 10 ans.

Alors, pour le reste...
Pas de radio des poumons, pas de prise de sang pour vérification des contaminations aux hépatites A, B ou C, pas de reconnaissance pour les pathologies citées plus haut en maladie professionnelle...

Aucune mutuelle ou complémentaire de santé d'entreprise.

A chacun de se débrouiller. La moyenne de leur cotisation de mutuelle individuelle et privée se situe autour de 130 euros par mois !

A ôter de leur salaire bien mince, on cherche les acquis de ces nantis !

Rémunération :

En moyenne 1080 euros nets.
Pas de 13ème mois.

Avantages :

Une prîme appellée IAT : Indemnité d'Administration et de Téchnicité.
Cette prîme est de 420 euros par an au coefficient 1.
Les éboueurs, salariés de la catégorie C se retrouvent au coefficient 4 et touchent une prîme de 1680 euros par an, soit 140 euros par mois.

Pour une mise en lumière tout de même de ces systèmes de prîme, la Directrice Générale des Services de l'agglo émarge à 22000 euros par an soit + de 1800 euros par mois, soit plus d'un salaire+prîme comprise d'un éboueur !

Pour le reste :
- Un spectacle de fin d'année jugé de plus en plus minable en qualité par les employés,
- Un bon d'achat de 25 euros par enfant à charge, qu'ils ne peuvent dépenser que chez Joué-Club pour les moins de 10 ans et à la FNAC pour les plus âgés.
- Enfin une réception de présentation des voeux qui les font allègrement "tousser", pour ne pas dire fulminer.

En effet, cette cérémonie commence toujours à 18H30 pour se terminer tard en soirée.
En outre, elle est systématiquement organisée en semaine.
Cette année, ce sera le 22 janvier, soit un jeudi soir .

Je vous laisse penser quant à la possibilité réelle pour les éboueurs de s'y rendre, lorsqu'ils sont d'après-midi (fin du travail à 21 H), de nuit (début du service à 19H), ou bien lorsqu'ils recommencent le lendemain matin à 04H.
Peut-être ne sont-ils finalement pas les bienvenus  ?
Peut-être est-ce une volonté délibérée d'écarter certains employés des festivités, car comme le dit l'expression consacrée " Les torchons ne se mélangent pas avec les serviettes" !

Evolution de carrière :

Plus que problématique !
S'il y avait auparavant 4 grades où les salariés pouvaient accéder à l'ancienneté :
- Agent de salubrité, puis agent de salubrité qualifié, ensuite agent de salubrité principal pour finir en agent de salubrité principal en chef, depuis 2006 et la refonte des grades ils ont toujours 4 grades, mais avec des conditions différentes d'accès :
- agent technique de 2ème classe, puis de 1ère classe, ensuite agent technique principal de 2ème classe pour finir en agent technique principal de 1ère classe, car un examen professionnel (mais oui !) a été instauré pour passer de l'agent technique second classe en agent technique de première classe.

Parfois, on croît rêver !
Pour passer cet examen, les agents doivent débourser une somme de 6 euros au titre de la constitution du dossier.
Tout cela pour gagner 4 euros de plus par mois s'ils sont reçus .

Et puis surtout, il faut que la fonction soit validée en C.A.P.(commission administrative paritaire), ainsi que l'examen.
Les C.A.P ne se réunissant pas toujours à date fixe, si au bout d'un an la validation n'est pas effectuée, ils auront perdu le bénéfice de l'examen sans avoir jamais avoir obtenu d'augmentation, et devront de plus redébourser 6 euros pour repasser l'examen !

La notation étant au mérite, doux euphémisme pour dire que c'est à la tête du client et surtout pas pour ceux qui résistent, nos amis éboueurs grévistes savent à l'avance qui les attend.

Et je ne doute pas de leur sincérité puisque rapidement d'aucunes sont venues s'enquérir de notre identité puisque j'étais en compagnie de Marie-Denise NGANGA, élue communiste  d'opposition, au Conseil Municipal d'Orléans.
Certains se sont même faits prendre à part et ont eu droit à la "leçon" par une représentante syndicale qui ne les représente nullement en l'occurrence !
- " Tu n'aurais pas dû dire cela, attention à ta carrière ..."

Voilà pour toutes les infos à ma disposition.
Sachant qu'ils font toujours le piquet de grève chaque matin devant l'agglo, vous pouvez aller à leur rencontre.

Non seulement vous serez accueillis avec le sourire, mais vous pourrez aussi partager avec eux un café, discuter et poser toutes les questions que vous voudrez.

Vous constaterez que ce sont des gens comme vous et moi.
Qu'ils sont dignes et responsables vis à vis de leurs familles, de leurs enfants, des jeunes qui arrivent après eux.
Ils exercent un métier très dur, sale, pas considéré, invisible même aux yeux de notre société.

Mais ils sont debouts, respectables et fiers de leur lutte.
Etre éboueur n'empêche nullement de réfléchir, bien au contraire !

Jouer le pourrissement pour l'Agglo est parfois un bien mauvais calcul !

Car s'ils respirent fréquemment, de par leur métier, les miasmes nauséabonds des détritus qu'ils ramassent, aujourd'hui ce sont les vapeurs rebutantes des cervelles de ceux qui leur refusent toute reconnaissance et revalorisation immédiate de leurs salaires et prîmes qui les polluent !

Comments

[jp]

salut à vous camarade d'orléans,juste pour vous dire toute ma solidarité et mon soutien trés fort;surtout ne lachez rien.

un camarade éboueur de cahors.

[Circé]

@ JP : Merci pour votre soutien, je leur transmettrais.
Ils ont eu le soutien de la population alors que certains auraient aimé que ce soit le contraire.
Malheureusement pas celui d'un syndicat qui les a trahis.

[a]

De tout coeur avec vous!!! vous faites l'un des métiers les plus difficiles avec rien comme compensation.

une orléanaise fatiguée du capitalisme qui ne réclame qu'une chose : une humanité plus humaine

[Eric]

Tenez bon. On est avec vous. Quand aux propos de certains élus, ils ne font que confirmer qu'ils ne vivent pas sur la même planète que nous.

[maggy]

merci pour eux

[Circé]

@ Maggy : Il n'y a pas de quoi, vraiment, cela me semble normal. Nul ne se met en grève et  perd de l'argent sans raison légitime et valable

[Axel]

Vraiment intéressant comme reportage.
J'avais entendu dire à une époque que les éboueurs de l'extérieur de l'AglO avait moins d'avantage que ceux de l'AglO (c'était un éboueur qui me l'avait dit).
ça serait intéressant de connaitre les conditions de travail dans les autres villes... et de niveler par le haut !

Axel

[Circé]

@ Axel : la réponse est dans mon billet suivant. Merci de ta visite.