Histoires et Secrets de Femmes : Yema .
C'est aussi ainsi que mon compagnon appelle la sienne.
Et il y a tant d'amour, de tendresse caressante dans ce mot lorsqu'il s'adresse à elle que l'on dirait le bruissement léger d'une étoffe de soie, le gazouillis naissant d'une source claire et intarissable, le frissonnement de la brise printanière dans les jeunes et odorantes fleurs de jasmin.
La mienne je l'appelle "Maman" .
Et je sais combien dans mon adolescence j'ai pu être rude, intransigeante, sans concession, vis à vis d'elle.
Je la trouvais...trop...pas assez...
Trop soumise...
Pas assez indépendante...
Tout me révoltait, rien de ce qu'elle était, ne trouvait grâces à mes yeux.
Qu'elle ait dû demander l'autorisation de mon père pour ouvrir son compte en banque, par exemple .
Comme devaient cependant le faire toutes les femmes de cette époque, loi et règles bancaires en vigueur obligent.
Qu'elle ne travaille pas et s'ennuie à la maison en attendant notre retour de l'école, qu'elle demande son avis à mon père en tout et pour tout .
Je n'avais pas manqué de le lui "crier".
Elle m'avait ainsi mise au défi de lui trouver un emploi, puisque c'était si facile pour moi .
Et je lui avais trouvé.
Sans mérite aucun à vrai dire, durant cette fin des " Trente glorieuses " les emplois étaient encore légion et une biscuiterie proche de mon lycée embauchait quantité d'ouvrières.
En moins d'une semaine, ma mère avait repris une activité salariée.
Activité qu'elle avait auparavant abandonnée au retour de mon père, appellé du contingent en Algérie.
Elle fera partie de cette firme qui sera successivement rachetée par Belin, puis par Lu, pour être enfin fusionnée dans le groupe Danone qui un beau jour décidera que 9% de profit pour ses actionnaires, ce n'était décidément pas assez rentable .
Alors, tout simplement et malproprement elle sera renvoyée à ses fourneaux à quelques années de la retraite.
Mais revenons à cette année 1970 où elle va me donner ma première grande leçon de Femme .
Elle avait donc repris une vie "active" et s'était fait un cercle grandissant d'amies.
Pourtant, au bout de quelque temps, je ne me suis pas aperçue qu'elle était mal à l'aise, triste, préoccupée.
Et je n'ai pas senti l'inquiétude de mon père, non plus.
J'étais dans ma quinzième année.
L'âge de l'inconscience et l'égoïsme adolescents, la certitude qu'en dehors de soi rien n'existe .
Rien n'était avant vous et rien ne sera plus pareil après vous .
Et pourtant...
Un matin, juste avant de partir pour le lycée, ma mère m'a annoncé qu'elle devait s'absenter 48 heures.
Quelles raisons m'a-t-elle données, je ne m'en souviens pas .
A peine étonnée que j'étais, puérilement heureuse d'avoir la maison pour moi toute "seule", même si je devais la partager avec mes trois frères.
Que mon père soit inhabituellement présent plus de deux jours n'avait pas éveillé en moi plus d'intérêt ou de curiosité .
Et c'est à son retour que ma mère m'a révélé son lourd secret.
La force du témoignage d'une femme auprès d'une jeune femme en devenir.
Nous étions donc quatre enfants.
Et ma mère venait bien de retrouver un emploi après nous avoir tous élevés.
Mon plus jeune frère avait 8 ans.
Et elle était de nouveau enceinte .
Jusqu'à cette année 1970, pas de vacances, sinon chez mes grands-parents, pas de voiture non plus, bien trop chère pour cette époque où le crédit à la consommation n'était pas de mise puisqu'il n'éxistait pas.
Et puis et surtout, la maison à tenir, les enfants à "élever", éduquer, les couches à laver, les fesses à essuyer, les nez à moucher, les petits bobos et maladies infantiles à soigner, pas de temps pour soi, pas de relations sociales en dehors de la famille.
Et elle ne voulait pas en revenir à cela.
Mon père non plus et ils ont été deux à prendre cette décision .
Un couple à dire : Non.
Conciliabules en duo, puis discussions et renseignements pris auprès des copines .
Adresses en Suisse, en Angleterre, en Hollande et puis et surtout, détail non négligeable, le coût de l'intervention.
La somme requise en Angleterre était moins élevée que celle demandée en Suisse, somme à laquelle il fallait rajouter le prix du voyage.
De plus, la clinique était "sûre".
C'est donc vers cette destination qu'ils se sont tous deux tournés.
Et solidarité oblige, les amies de ma mère ont également apporté leurs contributions financières .
Une petite part de ce précieux sésame qu'elle leur rembourserait plus tard.
Elle n'était, ne serait, ni la première ni la dernière à devoir faire ce "voyage" .
Et chacune si elle ne l'avait pas déjà vécu savait qu'elle pouvait y être un jour ou l'autre confronté.
C'étaient donc des charters entiers de femmes qui arrivaient à Londres pour la même raison : mettre un terme à une grossesse non désirée.
Les chauffeurs de taxi étaient les plus grands rabatteurs attitrés des cliniques ou hôpitaux locaux.
Ils proposaient souvent avec insistance leurs services en suggérant d'autres lieux que ceux indiqués sur les adresses .
Ils percevaient en effet une commission pour chaque femme ramenée.
Et comme chacun le sait, le malheur des uns fait le bonheur des autres et il n'y a pas de petits profits !
La plupart des femmes qui avaient voyagé en compagnie de ma mère était plus "aisée" financièrement que ne l'étaient mes parents.
Mais mon père avait refusé que sa femme, ma mère, se rende à des "adresses" en France, certes moins "coûteuses", mais n'offrant aucune sécurité ou garantie sanitaire.
La santé de ma mère, sa vie en dépendaient et pas un instant mon père n'a accepté de lui faire courir plus de risques qu'il ne le fallait.
Et donc Londres, une clinique, un couloir, une salle, un français approximatif, une anesthésie et un réveil rapide et moins de deux heures plus tard l'air de la capitale anglo-saxonne.
Elles étaient trois à errer, à essayer de penser à autre chose.
Trois qui avaient uni le temps d'une après-midi et une soirée trois routes différentes, mais une même expérience difficile, une même confrontation à leur destin de femmes.
Et puis de nouveau Paris, la région parisienne, la maison, les enfants, la vie, estompée l'espace de 48 heures, mon père.
Tous deux s'aimaient et s'aiment toujours .
C'était leur choix .
Ma première grande claque magistrale, bien que figurée.
Une simplicité dans la confidence qui m'a fait grandir d'un seul coup.
Je ne me reconnaissais pas jusqu'alors dans cette mère .
Mais son corps et son coeur de femme étaient pareils aux miens.
Je l'apprenais dans la vérité cruelle de son sexe, du mien.
Et être Femme, c'était aussi cela.
De grandes douleurs, des droits à conquérir, des combats à mener.
Obliger des médecins à vous prescrire la pilule qu'ils vous refusaient à coup de mensonges, pour des raisons éthiques et non médicales, les contraindre à ne pas demander l'avis du compagnon ou mari, des parents, pour ne pas en arriver là.
Et si le drame arrive, que ceux qui "délivraient" dans le secret et l'illégalité le fassent en toute légitimité dans un cadre médical sécurisé.
Nous étions en 1970 .
Devrons-nous en revenir au règne des "Tartuffes" et autres chantres enténébrés (qui en l'occurence n'ont aucun droit sur le corps des femmes), devoir aller à l'étranger, être tributaire de surcroît de contingences financières et rajouter du malheur au malheur si la loi Veil devait être remise en cause ?
A Maman .
A son, ses courages de Femme qui m'ont construite.
Je l'appelle toujours ainsi, mais dans mon coeur chante "Yema".
Je joins ici le communiqué de presse du Planning Familial :
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Cour de cassation : déclaration à l’état civil : se trompe-t-on de sujet ?
La Première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé le 6/02/2008 que tout fœtus peut être déclaré à l’état civil quel que soit son niveau de développement.
Pour cela elle s’appuie sur l’article 79-1 alinéa 2 du Code Civil.
Cet article fait référence à la déclaration à l’état civil d’un enfant mort né.
La limite de viabilité médicalement définie par l’OMS (aujourd’hui 22 semaines d’aménorrhée et/ou un poids supérieur ou égal à 500g) donne au fœtus le statut d’un enfant déclarable à l’état civil comme une personne.
La Cour Européenne des droits de l’homme a jugé en juillet 2004 qu’un fœtus n’avait pas le statut juridique d’une personne. Elle a confirmé cet avis lorsqu’elle s’est prononcée sur la protection de l’enfant non né en considérant que « c’est la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne qui doivent être protégés au nom de la dignité humaine, sans pour autant en faire une personne qui aurait un droit à la vie au sens de l’article 2 » de la Convention.
Si la douleur des femmes ou des couples vivant des fausses couches tardives doit être entendue et leur travail de deuil accompagné, pour autant, cela ne doit pas ouvrir la brèche aux dérives potentielles remettant en cause le droit à l’avortement pour l’ensemble des femmes.
Nous assistons depuis des années, et particulièrement ces dernières semaines, à l’offensive des groupes anti-avortement, des militants pour la sacralisation de la vie, des intégrismes religieux. La remise en cause de la pratique de l’IVG en Espagne, de la légalisation en Lituanie et en Italie, la demande de Guliano Ferrrara d’un moratoire sur l’avortement dans le monde entier appuyé par le Vatican, et cet arrêt français de la Cour de cassation confirment nos inquiétudes sur le renforcement du front contre le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps.
La réponse à ces attaques doit être menée par toutes celles et tous ceux pour qui le droit des femmes à disposer de leur corps est incontournable dans une société égalitaire, démocratique, laïque.
Le MFPF appelle partenaires, associations, élu-es à interpeller le législateur pour faire respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le statut du fœtus et à initier toutes les actions et déclarations pour la promotion du droit des femmes à la maîtrise de leur procréation.
Paris, le 8 février 2008
Mouvement Français pour le Planning Familial
Contact : Maïté Albagly : mfpf@planning- familial. org
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