Pays des Droits de l'homme : Réalité, Rêve ou Cauchemar ?
Des yeux limpides couleur lagon des mers du sud, mélange d'émeraude et de turquoise, teint hâlé carnation miel doré et un nom qui vous emporte en voyage, loin du côté de la Perse et des contes des Mille et une Nuits.
Pour finir de brosser son portrait à peine esquissé, je me dois d'ajouter un regard droit et franc, doublé d'une attitude fière et digne qui forçent le respect .
Ce serait le héros idéal inscrit au panthéon des histoires contées nuit après nuit par Shéhérazade, mais il n'est qu'un adolescent égaré au XXIème siècle dans une France qu'il pensait le Pays des Droits de l'Homme et du Citoyen .
Cependant ce jeune homme au physique avenant n'est pas une légende.
Ce n'est pas non plus une image sur papier glacé de magazine people.
Encore qu'il mériterait plus d'attention qu'un "fils à Papa", le papa en question fût-il un TGH ( Très grand homme, aoc la pîre racaille ), parachuté aux dernières élections cantonales dans une ville huppée de la banlieue parisienne, plantant son premier poignard politique dans le dos d'un "ami de toujours" qu'il avait promis de " défendre à mort ".
Non, notre ( "notre" car vous le présentant il n'est désormais plus sans famille ) jeune homme n'est pas connu, mais bien réel cependant, fait de chair et de sang, de sentiments et de douleurs aussi.
Il se nomme Zafar-Ali Shah.
Je l'ai rencontré il y a peu au palais de justice d'Orléans, lors d'une audience devant le juge aux libertés.
J'y étais pour soutenir une famille dont la vie est suspendue à une sorte de gigantesque catapulte politique, quasi obsessionnellement inhumaine où les quotas de personnes, d'étrangers bien qu'êtres humains ( antinomie sarkozyenne ), traqués, pourchassés, arrêtés, détenus en centre de rétention puis expulser vers...sont le seul et unique but.
Peu importe leur sort...
Quoi que puisse plaider un avocat de la Préfecture ou bien le Président du tribunal, ou même une toute jeune femme qui en commentaire sur le blog d'un article de Fansolo me disait , alors que je disais la honte et l'horreur que j'éprouvais face à une telle politique :
- " vous avez raison circé c'est horrible de penser que "ce pays est le vôtre" mais alors : vous partez quand ? "
Je maintiens cette assertion :
Oui, mille fois oui cette politique est indigne et honteuse.
Elle brise des vies, des femmes et des enfants, des hommes et des familles en les ravalant au rang de chiffres et statistiques.
La veille, j'avais assisté à une soirée en hommage au poète martiniquais Aimé Césaire, décédé en avril dernier.
Un débat présidé par Daniel Voguet, avocat, président de l'ADEN, (Association de descendants d’esclaves noirs et de leurs amis), avait été engagé à la suite d'une très belle évocation d'Aimé Césaire, tant poètique que militante, avec entre autre un parallèle saississant entre " Le Code Noir " où les esclaves étaient des meubles sans âme, traités comme tels c'est-à-dire moins que rien, et les articles froids des lois Hortefeux, tranchants comme des couperets aussi dénués de vie et d'humanité que l'étaient les lois promulguées par Colbert sous le règne de Louis XIV.
Hortefeux en Colbert et Sarkozy en Roi Soleil, voilà que nos altesses se sentiraient bien grandies.
Bon, il est vrai qu'ils ont aussi en commun les talonnettes, mais je m'égare.
Et il est temps de vous exposer cette histoire kafkaïenne et ubuesque.
Zafar-Ali se promène lundi dernier en compagnie d'une amie dans la galerie marchande du centre commercial situé en plein centre ville d'Orléans.
A la sortie de celui-ci, son amie et lui sont agressés par trois individus.
Zafar-Ali malgré les coups qui pleuvent, arrive malgré tout à se saisir de son portable et compose le 17, police secours.
Las, les trois vauriens ont déguerpi en moins de temps qu'il ne faut pour le dire à la vue des voitures de police .
Zafar-Ali va aux devants des policiers pour relater l'agression dont il a été l'objet ainsi que son amie .
Pour indiquer aussi la direction prise par les trois individus peu recommandables coupables de leur agression et qui viennent de s'enfuir.
Ubu roi quand tu gouvernes !
Nos policiers, à qui ici l'on réserverait bien volontiers le sort de ceux de la chanson " Hécatombe ", de Georges Brassens, sous couvert de sécurité nous la jouent ici au " faciès ":
- "Papiers, s'il vous plaît ...".
Notre jeune homme en est tout retourné, sa compagne choquée .
Rien n'y fait.
Ni l'un, ni l'autre n'ont leurs papiers.
Allez, je vais faire ma mauvaise tête .
L'un a un prénom " exotique ", l'autre un prénom français.
Contrôle sur tous les fichiers : Zafar-Ali fait bien l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière. Mais quelle frontière au fait ?
Zafar-Ali Shah fait partie de la minorité pachtoune pakistanaise.
Son village aux confins des trois frontières pakistanaise, iranienne et Afghane a fait l'objet de moult incursions tant de la part des talibans que des américains d'ailleurs, qui
pour l'occasion ont des frontières une idée très ..."gendarmes du monde".
Toujours est-il, et l'histoire n'est pas avare d'exemples aussi terribles tant lors de la guerre du Vitenam que celle d'Algérie
-pour ne parler que d'elles-, que son village a été maintes fois pris à partie, faisant l'objet de toutes les convoitises stratégiques, tant par les uns que par les autres.
Je vous passe les détails épouvantables des meurtres, viols, égorgements...
Ne reste à Zafar-Ali Shah de ces massacres, que son père.
Mère, frères, soeurs...disparus, engloutis, ensevelis dans l'histoire cruelle de ce monde où le pouvoir, les luttes d'influence de toute sorte et la vie ne font pas bon ménage.
Son père le somme alors de se protéger, en partant pour grandir certes loin de lui mais sauf, bien vivant, lui qui est le dernier représentant de sa famille.
A la question aussi saugrenue qu'incongrue du Président du tribunal qui lui demandait pourquoi la France plutôt que l'Italie ou l'Allemagne pour se réfugier, Zafar-Ali lui répond des larmes dans
la voix:
- " Papa m'a dit que c'était le Pays des Droits de l'Homme et du citoyen. Je l'ai supplié de venir avec moi, mais nous n'avions pas assez d'argent et aujourd'hui je ne sais même pas s'il est
mort ou vivant..."
Car vous l'avez compris sans doute, Zafar-Ali Shah a été arrêté pour infraction à la législation sur le code de l'entrée et du séjour des étrangers sur le territoire français.
Qu'il ait été rossé ainsi que sa compagne au patronyme fleurant bon la France, expliquant sans doute qu'elle n'est pas été inquiétée pour défaut d'identité, n'est pas de mise.
Sa plainte ne sera même pas prise en compte.
Pire même, on lui assène qu'il a très bien pu déclencher la rixe et on conteste son appel au 17, bien que cela soit enregistré sur son portable...
Un ou une autre aurait pu le faire lors de la bagarre.
Curieusement les caméras qui sont légion à cet endroit, ne sont pas mises à contribution pour apporter
soutien à notre jeune homme et sa compagne.
Non, le venin de la suspicion est immédiatement inoculé, instillé, distillé et la Justice ne jouera pas son rôle.
Zafar-Ali Shah se défend pied à pied avec tenue et distinction.
Il comprend parfaitement bien la langue française, même s'il s'exprime plus difficilement.
Au Président du tribunal qui lui demande de quoi il vit, scandalisé de la possibilité qu'il puisse être exploité par un employeur indélicat - Zafar-Ali n'est évidemment pas déclaré
-, il lui répond qu'il vit de petits boulots, tout ce qu'il trouve, qu'il n'a jamais été un mendiant, ni un voleur, qu'il est honnête et se fait une règle à être "propre" sur lui
sans être à la charge de qui que ce soit.
Le Président est embarrassé de sa franchise, car Zafar-Ali lui déclare qu'il pensait que la Police était pour tous, que les droits étaient pour tous, qu'il n'avait commis aucun crime
mais que celui qui se retrouvait en l'occurence depuis 4 jours en centre de rétention, privé de liberté, c'était bien lui.
Et de rajouter :
- " C'est de ma faute, je n'aurais jamais dû appeler la police, c'est de ma faute..."
Sa simplicité m'a touchée, sa naïveté et sa solitude face à cette machine judiciaire aussi.
C'est pour cela entre autres choses que je suis restée, que j'ai écouté, pris les infos et relayé son cas à différentes associations.
Car je suis atterrée autant qu'indignée.
Ce qui s'est passé, joué là est bien un déni de justice.
Le chiffre des quotas a été augmenté d'un cas, celui de la délinquance n'a pas bougé puisque sa plainte n'a pas été reçue .
Ainsi réellement, sont inscrites dans les annales judiciaires que si vous êtes SDF, sans-papiers, prostitué(e)s ou autres bannis de la société, la justice n'est pas faite pour vous.
C'est ce qu'a plaidé son avocat qui était aux dernières élections présent sur une liste UMP.
Je me suis posée la question de ce grand paradoxe d'avoir défendu ce jour-là Zafar-Ali tout en ayant défendu une telle politique d'immigration qui conduit à tous les excès.
Je me dois cependant de souligner qu'il a samedi dernier parlé de cette affaire dans notre journal local, ne décolérant pas devant ce déni de justice qui a été avalisé.
La réalité peut tous nous rattraper un jour ou l'autre et ne laisse pas de marbre.
Pour ma part, accompagnant Zafar-Ali Shah lors de sa sortie de la salle du palais où nous étions, ses paroles résonnent comme autant de coups au coeur :
- " C'est de ma faute, c'est de ma faute, c'est de ma faute, je n'aurai pas du les appeler, c'est de ma faute..."
Une litanie qu'il ne contrôlait plus.
Et moi qui veut croire en la légitimié de la justice de mon pays de me demander avec lui :
- Où sont les Droits de l'Homme et du citoyen ?
Selon que vous soyez pauvre ou riche, inconnu ou puissant, avec ou sans-papier...
La loi n'est donc bien pas la même pour tous !
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