Touchez pas à mes gonades !
GONADE, subst. fém. : BIOL, Glande génitale qui produit les gamètes et sécrète des hormones sexuelles. Gonade femelle (synon. ovaire), gonade mâle (synon. testicule).
Tout est ouaté autour de moi, cotonneux, nébuleux.
Sans poids, je ne suis ni lourde, ni légère, mais incapable de parler ou de penser. Je suis désorientée, insensibilisée, comme anesthésiée, mon portable à la main. J'ai bien composé un numéro, mais je ne sais plus de qui. D'ailleurs, je ne sais même plus où je suis, où je vais, ce que je fais là ou ce que je cherche.
Cela, au moins, je le sais. Je suis à la recherche de quelque chose, mais de quoi ? Dans mon nuage vaporeux et éthéré, mon cerveau est en mode pause, repos forcé, comme burn-outer, RAZetter..:
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« Allo, allo... »,
A l'autre bout, une voix perce la brume qui m'encercle, m'absorbe. Il faut que je réponde, avant que je ne me dissolve complètement en elle. Oui, mais à qui dois-je répondre, pour dire quoi ? Mes cordes vocales refusent de vibrer, d'émettre le moindre son. Je suis incapable de marcher comme statufiée.
Mais où suis-je ? Je ne reconnais rien.
Mon corps est comme en apesanteur : ni en haut, ni en bas, ni à droite, ni à gauche, entre rêve et cauchemar. Mes yeux voient, mais ne décryptent pas, et toujours le : - « Allo, allo... » au bout du fil.
Et puis, tout me revient.
Une collision d'images, de sons et de sentiments contrastés.
La scène d'un film rembobiné en mode accéléré que je revois, assimile et réalise enfin, mais à l'endroit.
Un RDV ce matin. Je suis sur mon vélo. Je tente de fendre le vent qui me fait barrage pour ne pas arriver en retard. Pas d'inquiétude à avoir, je suis largement partie en temps et en heure. L'accueil d'un service hospitalier, un bon de consultation à y prendre. La jeune femme de l'autre côté du guichet porte la même scarification au cou que moi.
Je renâcle contre l'obligation qui m'est faite de présenter ma pièce d'identité alors que je tends déjà ma carte vitale AVEC photo et ma carte de mutuelle. Échanges tout à fait sympathiques et cordiaux avec cette employée, qui à demi-mots me dit être d'accord avec moi.
Me voici dans le service gynéco où j'attends devant le cabinet du médecin spécialiste qui va me recevoir. Plus de 4 mois pour avoir un rendez-vous, et encore, ne dois-je pas trop me plaindre. Mon médecin habituel est décédé cet été, dans son sommeil m'a-t-on dit. Le nom d'un remplaçant m'a très vite été proposé et dans les mêmes temps que prévus.
Curieux sentiment que d'apprendre que celui qui me "suivait" et médicalement et en âge, n'est plus. C'était un personnage. Que l'on appréciait ou pas.
Pour ma part, chaque consultation avec lui était un moment décalé, empreint d'irréalité, duquel je sortais souvent le sourire en tête. Imaginez un peu...
Un gynéco qui tout en vous faisant un frottis vaginal vous chante un air de "La Norma", ou bien vous emmène en voyage sur la grande muraille de Chine ou la Cité Interdite ou encore vous fait une imitation de l'acteur Jean Piat jouant Robert d'Artois se confrontant (6mn10)à sa « bien-Aimée Tante Mahaut » autrement dit Hélène Duc dans la série « Les Rois Maudits », version de 1972...
Mais voilà, c'est maintenant un autre médecin qui m'attend derrière la porte.
Différent mais sympathique et délicat au demeurant. Frottis de contrôle, et autres examens de routine, que toute femme connait.
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« Tiens votre utérus est un peu gros... »
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« Je sais, c'est ce que me disait à chaque fois, le Docteur D., mais comme j'ai eu de nombreux enfants... »,
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« Oui, mais lorsque l'on est ménopausée, normalement l'utérus involue... »
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« Euh...Je ne suis pas encore ménopausée, je commence juste à avoir quelques retards... »
Consternation dans le regard de mon vis à vis :
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« Mais vous avez quel âge ? »
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« 56 ans »
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« Vous êtes sure ? Vous ne confondez pas avec des saignements ? »
Agaçant ce type de questions...Plus de quarante ans que j'ai mes règles, et voilà que d'un seul coup, à 56 ans, je ne saurais plus faire la différence entre règles et « saignements ».
Pourtant, chaque année, mon statut de femme non ménopausée, malgré mes 50 années passées, amusait son prédécesseur. Il me félicitait alors - comme si j'y étais pour quelque chose – et en plaisantant, me prédisait une entrée prochaine dans le Guiness des records.
Pour l'heure, avec calme et avec application je réponds à chacune de ses
questions.
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« Je vais vous faire une écho, histoire de vérifier... », me répond-il tout en préparant le matériel.
Il est précautionneux.
J'apprécie. Pas toujours agréables ces échographies endovaginales.
Curieux cet amalgame de discussions sur tout et n'importe quoi : travail,
retraite, reprise d'études, université, et questions d'ordre personnel et médical...Et puis...
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« Il y a des cas de cancers de l'utérus dans votre famille... »
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« Non, aucun... »
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« Il va falloir que je vous fasse des examens complémentaires en milieu hospitalier... »
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« Mais cela peut attendre, non ? »
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« Non, il faut rapidement le faire, je regarde mon agenda pour vous dire quand est-ce que je peux pratiquer cela. En sortant vous allez prendre rendez-vous pour une consultation en anesthésie, et réservez d'ores et déjà votre chambre... »
La consultation se termine, je m'habille comme dans un rêve, remets le prélèvement au secrétariat pour analyse, et vais mécaniquement prendre mon rendez-vous en service anesthésie. Là, on me remet un questionnaire à compléter pour le jour fixé, puis, je sors.
C'est là que je suis ! Sur le parking de l'hôpital, à la recherche de mon vélo !
Je réponds enfin à cette amie qui s'égosille au bout du fil. Besoin d'entendre une
femme, une femme qui a eu quelques « soucis » aussi.
Je suis monocorde, sans doute monochrome aussi.
Une couleur entre grisâtre ou verdâtre, à moins que...Oserai-je fantomatique ?
Une curieuse sensation de chape de plomb qui s'abat sur moi, de mise à l'écart, à l'index...Etre en dehors de l'humanité, frappée du sceau de la menace qui n'a pas encore de nom.
Je peux désormais enfourcher mon vélo, me rendre au bureau des admissions où je présente de nouveau mes carte vitale AVEC photo, carte de mutuelle et pièce d'identité.
A la lecture du service et de l'intervention, l'employée me demande, comme si tout cela était naturel, si je n'ai pas une carte de prise en charge 100%. Mes pensées se bousculent désormais...
Mais non enfin ! Laissez-moi le temps de le nommer ce mal qui est lové bien au chaud au creux de mon ventre. Là, dans cette matrice qui nous fait femmes, et/ou mères, où la vie peut se développer tandis que chez moi prolifère une sourde menace, sans nom, sans papier, ne portant ni voile, ni kippa, (ai-je dit récemment à un ami), pas de soutane non plus, tant elle se fout de tout cela, ne s'inquiétant ni de ma couleur, ni de mes origines ou de ma culture et de mes opinions politiques...
Et qui se fout tout autant que je sois athée !
Je ne crois ni au Paradis, ni à l'éternité.
Du moins pas celle que nombre nous promettent sous le sceau asservissant du religieux. Pour moi, si Paradis il y a, ce devrait être maintenant. Notre Terre porte en elle tout ce qu'il faut pour que nous vivions toutes et tous ensemble, correctement, dignement, respectueusement les unEs envers les autres. Mais nous l'avons transformé nous-mêmes en Enfer notre Terre, en nous prosternant aux pieds d'une déité de papier et de métal : l'argent, le fric, les profits, le capital, dividendes et bénéfices compris !
Mon Paradis et mon éternité s'avèrent avoir un horizon bien sombre, et chargé. Car que suis-je à l'instant présent ? Une pestiférée ? Non, la mort vient bien trop vite...Une lépreuse ? Peut-être après tout.
Nommer, ce n'est même pas avoir peur pour soi ou pour ce qui risque d'arriver. Mais bien pour ce que l'on projette sur les autres. Nommer, c'est risquer la mise à l'écart inconsciente, être traitée différemment entre fuite, oui, fuite ou compassion et pitié.
Mais je ne veux rien de tout cela moi
!
Une écoute amicale, une présence discrète, non intrusive, non invasive, le mot drôle ou sympa qui va faire sourire ou rire...Oui ! Mais rien d'autre.
Et puis, et puis...La question de cette employée me
projette brutalement plus avant, et m'oblige à envisager certaines réponses médicales et/ou chirurgicales.
Alors là, là ...NON ! NON ! Je refuse que l'on me mutile, je refuse ce que trop souvent nombre de médecins proposent : " Tout retirer, de toute façon, cela ne vous servira plus à rien, vous n'aurez plus d'enfants, et vous n'êtes plus en âge d'en avoir..."
Quoi ? Mon appareil génital remisé à la maternité, et
non à ma féminité, au désir, au plaisir, aux vagues de jouissance...Il ne serait que cela ? Un four à fabriquer des enfants ? Et ne remplissant plus cette utilité, cette "divine mission", il
deviendrait donc inutile au moindre souci ?
Non, Non et Non ! Alors là, Non, ne touchez pas à mes gonades !
C'est ce que j'ai envie de crier, de hurler, à ce type
de médecins, même si celui que j'ai consulté ne m'a pour l'instant rien suggéré de tout cela. Mais je connais trop bien, justement, le trop peu de réponses proposées aux
femmes.
Et oui, oui, j'ai envie de crier et de hurler : Est-ce
que l'on vous enlève vos testicules, Messieurs les Médecins ou non, quand vous êtes opérés de la prostate ?
Pourtant il me semble que pour plus de 50% d'entre vous,
vous devenez impuissants et même pour certains incontinents après cette opération. Et pourtant vous propose-t-on pour autant de vous ôter tout ce qui ne "servira" plus ?
La réponse est d'ores et déjà : Non, certainement non
!!!!
Même que le métier d'urologue fait florès, même que les
recherches et avancées pour ne pas vous mutiler sont légions...Nous ? Nous ne sommes que femmes et subalternes, et notre appareil génital utilitaire, alors...
La gynécologie médicale est un métier sinistré. Les
recherches pour ne pas nous arracher, nous disséquer vivantes, nous retirer ce qui fait que nous sommes du genre féminin dès la naissance importent peu. Ce qui fait de nous des Femmes est entre notre cuisse, au creux de
notre ventre. Nos attributs sont invisibles, sans doute pour cela que nous vous sommes "inférieures" dans votre inconscient de mâles élevés dans nos sociétés patriarcales où la domination
masculine prévaut et pour cause...
Nous ? Nous sommes en quelque sorte interchangeables.
Dans d'autres pays, même si cela se pratique aussi chez nous sous d'autres formes, - l'homme mûr qui préfère une plus jeune pour se rassurer sur sa virilité - tout en n'en disant pas le nom, les femmes sont rapidement répudiées si elles ne peuvent avoir d'enfants ou bien sont ménopausées...Une ménopause qu'elles vivent comme une malédiction...La femme réduite à la maternité et rien d'autre.
Alors quand en plus, elle est porteuse d'un crabe qui se nourrit d'elle ?
Tiens c'est curieux. Pourtant, je les aime bien, moi, les crabes.
Même que dans mon enfance avec mon premier frère, nous les pêchions avec application. Qu'ils soient étrilles et verts, ou tourteaux devenant rouges à la cuisson...
Et même ces araignées de mer que nous attrapions, munis d'épais gants de caoutchouc et que nous allions chercher en plongeant en apnée...Il est vrai qu'elles pouvaient nous pincer facilement et douloureusement, en passant leurs pattes par-dessus leur carapace pour nous atteindre et nous faire lacher prise.
De toute façon, je n'ai jamais aimé les
araignées.
Je parle des arachnides, même si je me suis bien
réconciliée avec elles, le temps passant. Elles ne me font plus peur, tout en ayant parfois encore certains reculs. Maintenant, je les observe, ne les chasse plus, ni ne les
écrase...
Alors, que faire d'un crabe qui tisserait sa toile dans mon ventre ?
Investiguer, ils vont investiguer...
C'est ainsi que ma fille aînée a traduit ce qui m'attend.
Eclats de rire immédiats de part et d'autre suite à une association fulgurante d'idées de ma part :
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« Oui, tu as raison, ils vont investiguer et même jouer aux « Experts MonMinou », mais attention pas question qu'ils touchent à mes gonades, non, sinon gare aux leurs... !"
Non, décidément, ne touchez pas à mes gonades...
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