Du traitement des viols collectifs dans les médias, les tribunaux.
Parfois, on aimerait que la ville où l'on habite ne fasse pas parler d'elle. Parfois, on aimerait qu'elle ne soit pas
citée dans de sordides affaires de violences faites aux femmes qui aboutissent trop souvent au décès de certaines.
Orléans, vient malheureusement, d'être une nouvelle fois le théâtre de ces violences ordinaires. Ordinaires, dans le sens où elles sont largement banalisées dans les médias, et alimentent les
pages "faits-divers". Celles qui font vendre, le temps d'en lire les détails "croustillants", de se repaître de l'énumération de faits si possibles plus abjects les uns que les autres.
Une femme est morte la semaine dernière à Orléans, victime non pas de viols répétés, comme je l'ai lu dans un journal local, mais de viol collectif.
Pour le moins, lorsqu'il y a six individus incriminés dont trois mis en examen, qui ont violé une femme tour à tour pendant toute une nuit, c'est un viol collectif. Quel que soit l'âge de la
victime.
Ce ne sont pas des viols répétés, ce terme induisant des viols commis à de nombreuses reprises sur un laps de temps qui peut être plusieurs jours, semaines, années. C'est souvent ainsi que sont
qualifiés les cas d'incestes, de pédophilie, révélés des années plus tard.
Sylvie, âgée de 42 ans, est donc morte, victime de viol collectif.
Mais quelle ironie de lire sous la plume du journaliste qui a relaté cette affaire, et retranscrit dans un encart les premiers éléments de l'enquête divulgués par le parquet, - ce sans analyse
aucune -, qu'elle n'avait pas eu affaire à la justice, et qu'elle ne se livrait probablement pas à la prostitution.
Comme si dans un cas comme dans l'autre, le crime
odieux dont elle a été victime l'aurait moins été.
Histoire de rassurer la bien-pensance bourgeoise ?
Cela n'arrivera pas chez nous, nous sommes civilisés, au-dessus de cette lie. Ce qui bien entendu n'est pas un gage de sécurité, tant d'autres affaires le démontrant.
Par ailleurs, j'apprends aussi que c'était une femme fragile, qu'elle avait un enfant de 14 ans confié aux services sociaux.
Tiens du coup, elle paraît moins victime, même si elle en est morte, ou plutôt dans un certain sens, un peu responsable de ce qui vient de lui arriver.
Ces remarques faisant penser à ce style de questions posées aux victimes en les culpabilisant : Où étiez-vous ? Dans ce quartier ? A cette heure-là ? Avec quelles personnes ? Habillée
comment ? Vous êtes sure que vous ne les avez pas provoqués ? Vous aviez bu ? Vous aviez pris de la drogue ? Mais pourquoi vous les avez suivis ? etc...etc...
Toujours la même "rassurance" .
Une paumée, qui habitait un "quartier" infréquentable, côtoyant des individus louches...Comme si les victimes de viols, garçons et filles, car oui il y a aussi des jeunes gens, des hommes qui se
font violés, devraient tous et toutes être des saints, genre oie blanche tout droit sortie du couvent des oiseaux, pour être dignes de respect et que justice pleine et entière leur soit
rendue.
Il est à noter que dans les affaires de viols de jeunes hommes, d'hommes, le terme "d'actes contre-nature" est souvent sous-entendu, comme si le viol d'une femme était "naturel".
Pour revenir à Orléans, dans le même temps que cette affaire, une toute jeune fille de 14 ans, a révélé, en début de semaine, avoir été victime de viols collectifs en 2009, alors qu'elle était
âgée de 12 ans et qu'elle avait fugué du foyer où elle se trouvait placée.
Un autre journaliste, a bien évidemment relaté cette affaire, encore au stade de l'enquête. Celle-ci étant en cours, ce n'est pas sur celle-ci que je m'exprimerai, mais encore une fois sur la
façon dont elle a été relayée dans la presse et visiblement par le procureur de la République.
Car si dans le premier cas, le titre de l'article était :
" Des viols répétés à l'origine du drame...", ce qui déjà n'est pas la qualification exacte, le second titrait ainsi :
" Une tournante à Montargis ?"...
Et là, mon sang n'a fait qu'un tour.
Comment peut-on encore, à l'heure actuelle, alors que la lutte contre les violences faites aux femmes est une lutte de tous les instants et à tous les niveaux, utiliser dans les médias, dans les tribunaux, ce genre de terme ? Même mis entre guillemets ?
Un viol collectif n'est pas une "tournante", c'est un crime.
Ce mot de tournante qui suggère un jeu, celui d'une partie de ping-pong où les joueurs tournent autour de la table - on voit l'analogie déplacée -, évoque par ailleurs, de façon à peine voilée,
les viols collectifs commis sur des jeunes filles par des jeunes gens des cités ou autres, ces crimes se passant aussi pourtant dans des villages bien proprets de la France
profonde, est inacceptable.
Car, que ce soit dans le premier cas, comme dans le suivant, ne s'agit-il pas du même crime odieux et non d'un jeu ?
De la même négation de la personne utilisée pour lui imposer sa domination, via des relations sexuelles imposées, une prise de pouvoir sur elle, une négation de ce qu'elle est, lui otant son
statut d'être humain, son pouvoir de dire non, humiliation, avilissement et même aussi parfois actes de barbarie en prîme : victime simple objet défouloir à toutes les pulsions, horreurs.
Alors non. Un viol collectif n'est pas une tournante.
Et c'est en ce sens que notre Collectif a adressé un courriel aux journalistes de La République du Centre, tout comme il va interpeller le Procureur de la République à Montargis.
Les mots ont un sens, une valeur.
Qualifier les viols collectifs, tous les actes de violence tels qu'ils doivent l'être pour ne pas en minimiser l'impact, alors que notre société a tant de mal à en appréhender, à en accepter la
réalité.
Pour que la lutte contre les violences faites aux femmes, -et aux hommes - soit une lutte de tous les jours et à tous les niveaux, en premier lieu dans les médias lorsqu'ils relatent ces
violences, et à fortiori dans les tribunaux.
* Aujourd'hui mercredi 28 septembre, après une longue conversation téléphonique avec Alexandre Charrier, le journaliste de La Rep qui a écrit le premier article auquel je fais référence ici, je me dois d'apporter les indications suivantes qu'il m'a fournies.
- le terme de "viols collectifs" n'a pas été utilisé dans son article, à dessein, dans le sens où dans l'état actuel de l'enquête et de la reconstitution des faits, si une succession de viols tout au long de la nuit a bien été prouvée, la qualification de viols en réunion n'est pour l'instant pas évoquée par le Procureur de la République.
- Concernant l'encart, qui est bien la retranscription des informations données par le Procureur de la République, où il est indiqué que la victime n'était ni connue de la justice, ni du milieu de la prostitution, c'était pour lui au contraire un élément à charge pour les agresseurs, et non une décrédibilisation de la victime. Alexandre Charrier a évoqué le fait que je surinterprêtais sans doute et pour le coup, la teneur de son article, m'expliquant combien pour lui, journaliste, c'était chose difficile et délicate d'informer sur ce type d'affaire. Ce que j'admets volontiers.
Nous avons longuement discutés sur ce point. Pour ma part, que l'on soit prostituée ou pas, quand une femme dit non,
c'est non . Il est tout aussi grave que des viols soient commis sur des prostituées. Quelque soit le statut de la victime, un viol est un crime, une négation de la personne, de son intégrité et
de son humanité. En cela nous étions d'accord. Je pense, j'espère aussi qu'il aura compris mon point de vue de militante qui voit un autre aspect, celui des victimes, de leur parole qui est bien
trop souvent niée. Le combat de notre collectif n'étant d'ailleurs pas qu'au niveau du langage dans les médias ( Tous les médias, pas seulement La Rep ), mais bien à tous les niveaux de notre
société pour que cessent ces violences inacceptables en ce XXIème siècle.
Dont acte et ajout de ce commentaire.
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