La Crise (II)
La vie chez mes grands-parents, ce n'était pas seulement les vagabondages bucoliques et les vadrouilles champêtres .
C'étaient aussi de grands repas, de famille évidemment, mais aussi lors de toutes les occasions que le village pouvait se donner.
Fêtes : Nationale, religieuses, paiënnes, des semailles, moissons, labours... que sais-je encore ?
Le repas du 14 juillet était le plus prisé, le plus fréquenté, laïc et républicain, il faisait l'unanimité de la gente masculine.
En dehors de celle-là et à moins que ce ne soit un deuil, les hommes se débrouillaient pour ne pas être disponibles lors de péroraisons quelconques et apparaissaient opportunément au moment des agapes et banquets.
C'est ainsi que le 14 juillet, tout le monde répondait présent et participait à des jeux de toutes sortes, têtes chenues et frimousses espiègles s'en donnant à coeur joie.
Le clou du spectacle était l'escalade d'un mât enduit de savon noir au sommet duquel trônaient entre autres cochonnailles, un jambon fumé.
Bien entendu, les fanfaronnades étaient de mises entre jeunes et vieux qui s'affrontaient, souplesse juvénile contre mains rugueuses et calleuses, tentant tous de s'agripper au bois pour ensuite onduler jusqu'au sommet faisant ainsi montre devant ces dames d'agilité ou de force peu commune.
Les retombées sur le derrière, en dehors de la déception du perdant et de son orgueil battu en brèche étaient bien sûr l'objet de tous les commentaires, tous plus rigolards ou polissons les uns que les autres.
Puis venait le repas.
La chaleur aidant, les vins de loire coulaient tel le fleuve en crue et échauffaient les esprits.
Le temps des histoires et chansons paillardes s'imposaient alors, les adultes enjoignant aux plus petits de se boucher les oreilles afin de ne rien entendre.
Bien évidemment nous nous taisions alors et écoutions avidement ce qui nous était faussement interdit.
Le plus drôle pour moi était de constater qu'en la matière certaine réserve féminine tombait et que ma grand-mère n'était pas la dernière à entonner en choeur les différents refrains.
Bien que son répertoire personnel était plus amusant et émoustillant que le "curé de Camaret".
Sa chanson préférée était "Frou-Frou" qu'elle roucoulait littéralement, enjôlant son auditoire masculin au grand dam de certaines, drapées dans la décence et la vertu qui seyaient, du moins feignaient-elles de le faire croire, à leur sexe, tandis que pour joindre le geste aux paroles de la ritournelle, ma grand-mère relevait alors le bas de sa robe découvrant sous les yeux hagards de certains, la dentelle de ses dessous.
Teints rougeauds et oeillades égrillardes ne laissaient alors aucun doute sur le ressenti de ces messieurs.
Les rires gras fusaient ensuite, on se tapait dans le dos, sur les cuisses et on donnait du :
- " Madame T..., il doit pas s'ennuyer vot' mari."
Ma grand-mère avait été et restait une femme libre.
Ce qui n'augurait rien de bon au niveau réputation dans ces années d'avant et d'après-guerre.
Ce qui aujourd'hui me surprend toujours, c'est le magnétisme qu'elle dégageait.
C'était une belle femme plantureuse avec des jambes magnifiques.
Des yeux couleur pervenche, une chevelure ambrée, souple et ondulée où trônait une ravissante mèche naturelle aussi blanche que la neige et qu'elle portait en frange.
D'un cadeau singulier de Dame Nature, elle en avait fait un atout certain de séduction.
Enfin, un sourire caressant sur de jolies lèvres relevées de rouge complètaient son portrait.
C'était son seul maquillage en dehors de la poudre de riz qu'elle déposait auparavant sur son visage et son décolletté.
J'aimais voir le petit nuage qui voletait autour d'elle lorsque prenant une ravissante houpette duveteuse de couleur rose pâle, elle saupoudrait son joli visage si peu marqué par l'âge, avant de déposer quelques gouttes d'un parfum fleurant bon la violette au creux de son cou.
Ces fragrances particulières sont ainsi ancrées dans ma mémoire.
Il m'arrive encore parfois, bien que de plus en plus rarement, de me retourner sur le sillage de certaines vieilles dames, duquel émanent les effluves de mon enfance.
Je sens alors la présence de celle qui a été, est et sera toujours si chère à mon coeur.
Dame Nature, encore elle, a offert le même présent d'une mèche blanche à sa naissance à l'un de mes enfants .
Je regarde souvent cet accroche-coeur, si bien nommé pour l'occasion, dans les cheveux de mon fils, rappel si besoin était de filiation et généalogie dans une toison, tendresse en sus.
Souvenir visible aussi d'une femmme non pas modèle, mais pleine de blessures d'avoir tant lutté contre une société restrictive en matière de moeurs, à moins qu'elles n'aient été hypocritement tues et cachées.
Bien des années plus tard, j'ai su et compris en partie son attitude.
Elle avait été l'une des premières opérées en France d'un cancer du sein.
Opération qui l'avait littéralement mutilée.
Non seulement la glande mammaire avait été otée, mais l'ablation s'était prolongée jusqu'au-dessous du bras, laissant un horrible creux à cet endroit.
Souvent dans mon enfance, je la voyais fourrager dans son giron.
Elle ne m'en a expliqué l'origine que bien longtemps après.
La maladie, l'intervention chirurgicale mais aussi ses effets.
Elle remettait ainsi en place force mouchoirs et coton pour pallier à l'absence de son second sein tandis que la dentelle de son mouchoir qui dépassait de l'échancrure de son corsage masquait une profonde et méchante cicatrice tant physique que morale.
Je ne peux penser à cela sans me remémorer cette anecdote qui nous a fait pouffer de rire à quelques semaines de la fin de sa vie alors que devenue cardiaque et donc très malade, je l'avais rapidement conduite aux urgences de l'hôpital de la ville où elle demeurait.
Allongée sur une civière du service, fatiguée et souffrante, elle m'avait demandée de l'aider à se déshabiller comme le lui avait enjoint le jeune interne venu la recevoir.
Pendant qu'il était parti chercher différent matériel dont l'électrocardiographe, je m'éxécutais doucement pour ne pas la bousculer et la faire souffrir.
Au moment ou je lui dégrafais son soutien-gorge sous la casaque que je venais de poser sur elle respectant ainsi son intimité et sa dignité, la prothèse qu'elle portait dorénavant en lieu et place des mouchoirs et coton, tomba, puis glissa sous un plateau de soins roulant.
C'est donc à quatre pattes, derrière en l'air, bras sous l'équipement et joue collée contre le sol tandis que ma grand-mère m'indiquait l'endroit où je pouvais retrouver l'objet du délit que le jeune interne nous rejoignit et me surprît dans cette position.
Son visage consterné et son attitude parfaitement interloquée firent partir ma grand-mère dans un grand éclat de rire, aussitôt contagieux.
Nous fûmes bientôt trois à le partager, tandis que tous les visages interrogateurs du personnel médical venaient poindre les uns après les autres à l'entrée du box.
Ce n'est tout de même pas tous les jours que l'on entend rire d'aussi bon coeur dans un service des urgences, finirent-ils tous par me dire, alors que mon visage était aussi écarlate qu'une corolle de coquelicot et que ma grand-mère se tordait de rire dans des larmes de joie et de douleur.
Anecdote digressive que je ne peux cependant détacher du personnage.
Pour en revenir à mon enfance et au repas des 14 juillet, arrivait ensuite le temps du bal musette: valses, tangos, pasos-dobles... étaient de mise.
Chacun trouvant sa chacune, changeant de partenaires au rythme de l'accordéon, des trémolos beuglés plus que chantés par un ou des interprêtes du crû tandis que d'aucuns suant et transpirant à grosses gouttes chaloupaient en mesure.
Leurs étreintes sur la taille de leurs partenaires parfois aussi basse que leur derrière se faisaient moins anodines et ils en profitaient pour écrasés leurs torses et ventres souvent enveloppés sur ceux de leurs vis à vis dont les abondantes poitrines se trouvaient comprimées par "leurs bras audacieux", paroles d'une chanson qui me reviennent à l'instant en mémoire.
Les enfants dont j'étais, ne demandaient pas leurs restes .
Entre imitation des plus âgés, espionnage des amoureux, rires étouffés mains sur la bouche au spectacle des baisers volés et tentatives de mains baladeuses sous les jupes des filles, le moment venait où les plus anciens restaient assis et évoquaient leur vie passée, café fumant et larmes de rhum brun en fond de tasse.
J'écoutais alors, discrète et attentive, entre stupeur et peur rétrospectives, les récits des anciens.
.../...
C'étaient aussi de grands repas, de famille évidemment, mais aussi lors de toutes les occasions que le village pouvait se donner.
Fêtes : Nationale, religieuses, paiënnes, des semailles, moissons, labours... que sais-je encore ?
Le repas du 14 juillet était le plus prisé, le plus fréquenté, laïc et républicain, il faisait l'unanimité de la gente masculine.
En dehors de celle-là et à moins que ce ne soit un deuil, les hommes se débrouillaient pour ne pas être disponibles lors de péroraisons quelconques et apparaissaient opportunément au moment des agapes et banquets.
C'est ainsi que le 14 juillet, tout le monde répondait présent et participait à des jeux de toutes sortes, têtes chenues et frimousses espiègles s'en donnant à coeur joie.
Le clou du spectacle était l'escalade d'un mât enduit de savon noir au sommet duquel trônaient entre autres cochonnailles, un jambon fumé.
Bien entendu, les fanfaronnades étaient de mises entre jeunes et vieux qui s'affrontaient, souplesse juvénile contre mains rugueuses et calleuses, tentant tous de s'agripper au bois pour ensuite onduler jusqu'au sommet faisant ainsi montre devant ces dames d'agilité ou de force peu commune.
Les retombées sur le derrière, en dehors de la déception du perdant et de son orgueil battu en brèche étaient bien sûr l'objet de tous les commentaires, tous plus rigolards ou polissons les uns que les autres.
Puis venait le repas.
La chaleur aidant, les vins de loire coulaient tel le fleuve en crue et échauffaient les esprits.
Le temps des histoires et chansons paillardes s'imposaient alors, les adultes enjoignant aux plus petits de se boucher les oreilles afin de ne rien entendre.
Bien évidemment nous nous taisions alors et écoutions avidement ce qui nous était faussement interdit.
Le plus drôle pour moi était de constater qu'en la matière certaine réserve féminine tombait et que ma grand-mère n'était pas la dernière à entonner en choeur les différents refrains.
Bien que son répertoire personnel était plus amusant et émoustillant que le "curé de Camaret".
Sa chanson préférée était "Frou-Frou" qu'elle roucoulait littéralement, enjôlant son auditoire masculin au grand dam de certaines, drapées dans la décence et la vertu qui seyaient, du moins feignaient-elles de le faire croire, à leur sexe, tandis que pour joindre le geste aux paroles de la ritournelle, ma grand-mère relevait alors le bas de sa robe découvrant sous les yeux hagards de certains, la dentelle de ses dessous.
Teints rougeauds et oeillades égrillardes ne laissaient alors aucun doute sur le ressenti de ces messieurs.
Les rires gras fusaient ensuite, on se tapait dans le dos, sur les cuisses et on donnait du :
- " Madame T..., il doit pas s'ennuyer vot' mari."
Ma grand-mère avait été et restait une femme libre.
Ce qui n'augurait rien de bon au niveau réputation dans ces années d'avant et d'après-guerre.
Ce qui aujourd'hui me surprend toujours, c'est le magnétisme qu'elle dégageait.
C'était une belle femme plantureuse avec des jambes magnifiques.
Des yeux couleur pervenche, une chevelure ambrée, souple et ondulée où trônait une ravissante mèche naturelle aussi blanche que la neige et qu'elle portait en frange.
D'un cadeau singulier de Dame Nature, elle en avait fait un atout certain de séduction.
Enfin, un sourire caressant sur de jolies lèvres relevées de rouge complètaient son portrait.
C'était son seul maquillage en dehors de la poudre de riz qu'elle déposait auparavant sur son visage et son décolletté.
J'aimais voir le petit nuage qui voletait autour d'elle lorsque prenant une ravissante houpette duveteuse de couleur rose pâle, elle saupoudrait son joli visage si peu marqué par l'âge, avant de déposer quelques gouttes d'un parfum fleurant bon la violette au creux de son cou.
Ces fragrances particulières sont ainsi ancrées dans ma mémoire.
Il m'arrive encore parfois, bien que de plus en plus rarement, de me retourner sur le sillage de certaines vieilles dames, duquel émanent les effluves de mon enfance.
Je sens alors la présence de celle qui a été, est et sera toujours si chère à mon coeur.
Dame Nature, encore elle, a offert le même présent d'une mèche blanche à sa naissance à l'un de mes enfants .
Je regarde souvent cet accroche-coeur, si bien nommé pour l'occasion, dans les cheveux de mon fils, rappel si besoin était de filiation et généalogie dans une toison, tendresse en sus.
Souvenir visible aussi d'une femmme non pas modèle, mais pleine de blessures d'avoir tant lutté contre une société restrictive en matière de moeurs, à moins qu'elles n'aient été hypocritement tues et cachées.
Bien des années plus tard, j'ai su et compris en partie son attitude.
Elle avait été l'une des premières opérées en France d'un cancer du sein.
Opération qui l'avait littéralement mutilée.
Non seulement la glande mammaire avait été otée, mais l'ablation s'était prolongée jusqu'au-dessous du bras, laissant un horrible creux à cet endroit.
Souvent dans mon enfance, je la voyais fourrager dans son giron.
Elle ne m'en a expliqué l'origine que bien longtemps après.
La maladie, l'intervention chirurgicale mais aussi ses effets.
Elle remettait ainsi en place force mouchoirs et coton pour pallier à l'absence de son second sein tandis que la dentelle de son mouchoir qui dépassait de l'échancrure de son corsage masquait une profonde et méchante cicatrice tant physique que morale.
Je ne peux penser à cela sans me remémorer cette anecdote qui nous a fait pouffer de rire à quelques semaines de la fin de sa vie alors que devenue cardiaque et donc très malade, je l'avais rapidement conduite aux urgences de l'hôpital de la ville où elle demeurait.
Allongée sur une civière du service, fatiguée et souffrante, elle m'avait demandée de l'aider à se déshabiller comme le lui avait enjoint le jeune interne venu la recevoir.
Pendant qu'il était parti chercher différent matériel dont l'électrocardiographe, je m'éxécutais doucement pour ne pas la bousculer et la faire souffrir.
Au moment ou je lui dégrafais son soutien-gorge sous la casaque que je venais de poser sur elle respectant ainsi son intimité et sa dignité, la prothèse qu'elle portait dorénavant en lieu et place des mouchoirs et coton, tomba, puis glissa sous un plateau de soins roulant.
C'est donc à quatre pattes, derrière en l'air, bras sous l'équipement et joue collée contre le sol tandis que ma grand-mère m'indiquait l'endroit où je pouvais retrouver l'objet du délit que le jeune interne nous rejoignit et me surprît dans cette position.
Son visage consterné et son attitude parfaitement interloquée firent partir ma grand-mère dans un grand éclat de rire, aussitôt contagieux.
Nous fûmes bientôt trois à le partager, tandis que tous les visages interrogateurs du personnel médical venaient poindre les uns après les autres à l'entrée du box.
Ce n'est tout de même pas tous les jours que l'on entend rire d'aussi bon coeur dans un service des urgences, finirent-ils tous par me dire, alors que mon visage était aussi écarlate qu'une corolle de coquelicot et que ma grand-mère se tordait de rire dans des larmes de joie et de douleur.
Anecdote digressive que je ne peux cependant détacher du personnage.
Pour en revenir à mon enfance et au repas des 14 juillet, arrivait ensuite le temps du bal musette: valses, tangos, pasos-dobles... étaient de mise.
Chacun trouvant sa chacune, changeant de partenaires au rythme de l'accordéon, des trémolos beuglés plus que chantés par un ou des interprêtes du crû tandis que d'aucuns suant et transpirant à grosses gouttes chaloupaient en mesure.
Leurs étreintes sur la taille de leurs partenaires parfois aussi basse que leur derrière se faisaient moins anodines et ils en profitaient pour écrasés leurs torses et ventres souvent enveloppés sur ceux de leurs vis à vis dont les abondantes poitrines se trouvaient comprimées par "leurs bras audacieux", paroles d'une chanson qui me reviennent à l'instant en mémoire.
Les enfants dont j'étais, ne demandaient pas leurs restes .
Entre imitation des plus âgés, espionnage des amoureux, rires étouffés mains sur la bouche au spectacle des baisers volés et tentatives de mains baladeuses sous les jupes des filles, le moment venait où les plus anciens restaient assis et évoquaient leur vie passée, café fumant et larmes de rhum brun en fond de tasse.
J'écoutais alors, discrète et attentive, entre stupeur et peur rétrospectives, les récits des anciens.
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