La Crise (I).
"La Crise", nouveau mot en vogue cette année après celui de "galère", l'année dernière.
Si le mot galère est utilisé complètement à torts et à travers, de façon tout à fait épisodique, pour désigner du doigt d'un ton populiste et de bon aloi en Sarkozie le vilain gréviste qui bloquerait tout le bon peuple des travailleurs besogneux et impavides à quai, le mot "Crise" quant à lui n'a été prononcé par nos élus, gouvernants, ministres et autre informe Petit à Talonnette qu'à contre coeur, contraints et forcés, à leurs corps défendants ou à l'insu de leur plein gré, Tour de France aidant ou du Monde en sauveur Zéro non masqué.
Il n'est pas prêt de s'effacer avant longtemps de notre vocabulaire.
En dehors du marasme mondial dans lequel nous sommes désormais plongés, des raisons plus que prévisibles provoqués par ce capitalisme financier outrageux et outrageant où l'homme n'est qu'une variable d'ajustement pour la croissance de dividendes et bénéfices faramineux à plus de deux chiffres profitants à quelques parvenus prospères, repus, bouffis d'orgueil et de mépris envers ceux qu'ils exploitent comme de simples machines, les jetant ensuite aux ordures comme de simples mouchoirs de papier, c'est le mot en lui-même qui m'interpelle.
Ce mot-là est un terme ancré dans ma mémoire.
J'ai aujourd'hui dépassé mon demi-siècle d'existence, quinquagénaire ou plutôt ménagère de plus de 50 ans avec son panier de soins au bras, dixit l'hurluberlue Rose Bonbon.
J'appartiens à cette génération dite des " Mamies Boomeuses" et accessoirement blogueuses ( ça rime !).
A cette génération où les pères étaient envoyés vivre leur 20 ans en Algérie, histoire de ramener de l'ordre dans ces "événements" qui ont attendu des années avant d'être reconnus comme une guerre.
Mon père n'a pas dérogé à la règle.
Il est parti alors que sa compagne, sa femme, ma mère, ma Maman était enceinte de celle qui aujourd'hui écrit ces quelques lignes.
Et tandis que je pointais le bout de mon nez, lui était de l'autre côté de la Méditerranée.
Ma mère a continué à travailler après ma naissance et m'a confiée, comme le faisait de nombreux couples à l'époque, à ma grand-mère, paternelle en l'occurrence.
En cela rien d'inhabituel.
Cela avait été le lot de mes parents eux-mêmes confiés à leurs grands-mères respectives alors que leurs parents, mes grands-parents travaillaient.
Mais je vais y revenir.
Donc petite enfance passée chez mes grands-parents qui vivaient en tribu.
Mon père avait un frère et une soeur plus jeunes que lui de 10 et 13 années, lui, né avant la guerre de 39-45, eux nés après.
Et puis aussi un couple d'amis qui vivaient sous le même toit que mes grands-parents et leurs deux filles, plus les nombreux enfants que ma grand-mère continuait à garder, petits enfants souvent parisiens qui attendaient que leurs parents partis travaillés à la "Ville" trouvent enfin un appartement convenable pour accueillir toute leur maisonnée.
Ainsi nous étions plus d'une quinzaine au plus fort des différentes présences, plus ou moins une dizaine en permanence.
Lorsque mon père est revenu d'Algérie, c'est ce qu'ont vécus mes parents qui recherchaient un appartement, qu'ils ont fini par trouver à Sarcelles.
Bon an, mal an, j'ai donc vécu chez mes grands parents pratiquement jusqu'à l'âge de 7 ans.
Et je n'en garde que de bons souvenirs.
Aimée, choyée, sans doute chouchoutée, mes souvenirs tournent toujours autour de la liberté.
De se déplacer, de jouer, de grandir sous le regard de nombreux adultes puisque les enfants appartenaient certes à une famille, mais aussi à une cellule ou structure sociale qu'était le village dans une sécurité affective certaine.
Pas d'angélisme cependant, la maltraitance des enfants existaient bien dans les familles, la pédophilie, l'inceste aussi.
Je ne l'ai envisagé que bien plus tard lorsque j'ai compris les interdits fermes que mettaient mes grands-parents non pas à la fréquentation de certains enfants, mais au fait de ne jamais aller chez eux sous quelque prétexte que ce soit.
Tout se savait finalement au niveau des adultes, les tabous étaient grands, on n'en parlait pas ou alors il fallait que le scandale éclate au grand jour.
Je me souviens de cette gamine qui allait avoir ses 14 ans comme mon oncle.
Tous deux étaient chez les grands qui préparaient leur certificat d'études alors que je fréquentais la classe des petits, encore en CP.
Il n'y avait alors que deux classes où se répartissaient les différents niveaux.
L'une avec les CP, CE1 et CE2 et chacun sa rangée.
L'autre CM1, CM2 et préparation au certificat d'études.
C'était une petite jeune fille plutôt boulotte, replette, mal fagottée, souvent moquée pour son hygiène plus que douteuse par les plus grands.
Elle était d'une famille très nombreuse et mal logée dans une ferme délabrée, sans salle de bain comme de nombreuses habitations de cette époque.
Le père était journalier dans les fermes alentours et très porté sur la bouteille.
La mère était quant à elle quasi invisible, hormis pour faire rentrer sa marmaille plus nombreuse chaque année, dès que quelqu'un faisait mine de s'approcher de leur logis .
L'année scolaire était bien avancée lorsqu'elle fût victime d'une violente crise d'appendicite.
Les pompiers locaux, tous volontaires bien entendu ( pas de village à l'époque sans pompiers ), appellés en renfort trouvèrent rapidement un véhicule ou plutôt une vieille guimbarde pour l'emmener à l'hôpital le plus proche, distant de plus de 15 kms.
Arrivée dans les cris et les pleurs, se tordant de douleurs, elle fût dirigée en chirurgie ou le praticien ne pût que constater qu'elle était en train...d'accoucher !
Le père putatif était son propre père, grand-père aussi au demeurant de l'enfant qu'elle mettait au monde.
Celui-ci fût promptement arrêté, jugé et placé en prison pour quelques années.
La famille respira ainsi quelques temps, mise à l'index par certains, aidée discrètement par les autres, instituteur en tête, encore fer de lance à l'époque d'une certaine classe érudite, républicaine et laïque dont il était le digne représentant dans ce village essentiellement peuplé de paysans.
Au fur et à mesure, le temps passant, leurs enfants gagnèrent la ville et les usines qui embauchaient à tour de bras, mais c'est une autre histoire.
En dehors de ces "anecdotes", ma petite enfance se passait donc entre mes grands-parents et les galopins du village .
Courant dans les chemins herbeux,
sautant avec délectation dans les meules de foin, décampant comme si nous avions le diable aux trousses, à l'arrivée des fermiers furieux que nous ayons mis à mal l'édifice patiemment érigé,
vagabondant jusqu'à la rivière où nous finissions de toute façon à l'eau simplement vêtus de nos slips, ne rentrant chez nous qu'une fois ces derniers séchés au risque de nous faire vertement réprimandés pour ne pas dire fessés d'avoir désobéis,
investigant les greniers des uns et des autres, découvrant de véritables trésors dans de grandes malles en osier entre vêtements mités et livres jaunis sentant la poussière et l'encre, ahuris parfois de constater que certains de nos parents avaient obtenu un premier prix de conduite,
explorant les caves voutées, vestiges d'anciens souterrains sentant l'humidité et le salpêtre, tricotant des pinceaux jusqu'au petit aérodrome voisin, nous cachant derrière les hautes herbes pour voir décoller de vieux biplans, magnifiques coucous volants traînant derrière eux les premiers planeurs venus d'Allemagne ou de Hollande,
enfourchant des biclous d'avant-guerre trop grands pour nous devant choisir entre pédaler ou poser notre derrière sur la selle, tombant parfois dans des fossés d'où dépassaient de grandes brassées d'orties au grand dam de nos bras et mollets qui en ressortaient enflammés au détour d'un virage raté,
prospectant les bois, traçant au travers des champs de blé mûr où foisonnaient coquelicots et bleuets, agaçant au passage papillons et abeilles dont le bourdonnement furieux nous faisaient déguerpir aussi vite que les propriétaires des lieux,
attrapant les lézards paressant au soleil sur les murs du cimetière, nous retrouvant bien souvent avec le vestige de leur queue remuante entre les doigts,
dépeçant quelques pieds de maïs choisis, transformant les épis chevelus en poupée que nous tressions,
gambadant dans les champs de luzerne que nous évitions comme la peste une fois coupés, leur chaume particulièrement âpre et virulent nous écorchant durement...
Bref, tout ce qui aujourd'hui nous ferait sans doute taxer de hooligans.
.../...
Si le mot galère est utilisé complètement à torts et à travers, de façon tout à fait épisodique, pour désigner du doigt d'un ton populiste et de bon aloi en Sarkozie le vilain gréviste qui bloquerait tout le bon peuple des travailleurs besogneux et impavides à quai, le mot "Crise" quant à lui n'a été prononcé par nos élus, gouvernants, ministres et autre informe Petit à Talonnette qu'à contre coeur, contraints et forcés, à leurs corps défendants ou à l'insu de leur plein gré, Tour de France aidant ou du Monde en sauveur Zéro non masqué.
Il n'est pas prêt de s'effacer avant longtemps de notre vocabulaire.
En dehors du marasme mondial dans lequel nous sommes désormais plongés, des raisons plus que prévisibles provoqués par ce capitalisme financier outrageux et outrageant où l'homme n'est qu'une variable d'ajustement pour la croissance de dividendes et bénéfices faramineux à plus de deux chiffres profitants à quelques parvenus prospères, repus, bouffis d'orgueil et de mépris envers ceux qu'ils exploitent comme de simples machines, les jetant ensuite aux ordures comme de simples mouchoirs de papier, c'est le mot en lui-même qui m'interpelle.
Ce mot-là est un terme ancré dans ma mémoire.
J'ai aujourd'hui dépassé mon demi-siècle d'existence, quinquagénaire ou plutôt ménagère de plus de 50 ans avec son panier de soins au bras, dixit l'hurluberlue Rose Bonbon.
J'appartiens à cette génération dite des " Mamies Boomeuses" et accessoirement blogueuses ( ça rime !).
A cette génération où les pères étaient envoyés vivre leur 20 ans en Algérie, histoire de ramener de l'ordre dans ces "événements" qui ont attendu des années avant d'être reconnus comme une guerre.
Mon père n'a pas dérogé à la règle.
Il est parti alors que sa compagne, sa femme, ma mère, ma Maman était enceinte de celle qui aujourd'hui écrit ces quelques lignes.
Et tandis que je pointais le bout de mon nez, lui était de l'autre côté de la Méditerranée.
Ma mère a continué à travailler après ma naissance et m'a confiée, comme le faisait de nombreux couples à l'époque, à ma grand-mère, paternelle en l'occurrence.
En cela rien d'inhabituel.
Cela avait été le lot de mes parents eux-mêmes confiés à leurs grands-mères respectives alors que leurs parents, mes grands-parents travaillaient.
Mais je vais y revenir.
Donc petite enfance passée chez mes grands-parents qui vivaient en tribu.
Mon père avait un frère et une soeur plus jeunes que lui de 10 et 13 années, lui, né avant la guerre de 39-45, eux nés après.
Et puis aussi un couple d'amis qui vivaient sous le même toit que mes grands-parents et leurs deux filles, plus les nombreux enfants que ma grand-mère continuait à garder, petits enfants souvent parisiens qui attendaient que leurs parents partis travaillés à la "Ville" trouvent enfin un appartement convenable pour accueillir toute leur maisonnée.
Ainsi nous étions plus d'une quinzaine au plus fort des différentes présences, plus ou moins une dizaine en permanence.
Lorsque mon père est revenu d'Algérie, c'est ce qu'ont vécus mes parents qui recherchaient un appartement, qu'ils ont fini par trouver à Sarcelles.
Bon an, mal an, j'ai donc vécu chez mes grands parents pratiquement jusqu'à l'âge de 7 ans.
Et je n'en garde que de bons souvenirs.
Aimée, choyée, sans doute chouchoutée, mes souvenirs tournent toujours autour de la liberté.
De se déplacer, de jouer, de grandir sous le regard de nombreux adultes puisque les enfants appartenaient certes à une famille, mais aussi à une cellule ou structure sociale qu'était le village dans une sécurité affective certaine.
Pas d'angélisme cependant, la maltraitance des enfants existaient bien dans les familles, la pédophilie, l'inceste aussi.
Je ne l'ai envisagé que bien plus tard lorsque j'ai compris les interdits fermes que mettaient mes grands-parents non pas à la fréquentation de certains enfants, mais au fait de ne jamais aller chez eux sous quelque prétexte que ce soit.
Tout se savait finalement au niveau des adultes, les tabous étaient grands, on n'en parlait pas ou alors il fallait que le scandale éclate au grand jour.
Je me souviens de cette gamine qui allait avoir ses 14 ans comme mon oncle.
Tous deux étaient chez les grands qui préparaient leur certificat d'études alors que je fréquentais la classe des petits, encore en CP.
Il n'y avait alors que deux classes où se répartissaient les différents niveaux.
L'une avec les CP, CE1 et CE2 et chacun sa rangée.
L'autre CM1, CM2 et préparation au certificat d'études.
C'était une petite jeune fille plutôt boulotte, replette, mal fagottée, souvent moquée pour son hygiène plus que douteuse par les plus grands.
Elle était d'une famille très nombreuse et mal logée dans une ferme délabrée, sans salle de bain comme de nombreuses habitations de cette époque.
Le père était journalier dans les fermes alentours et très porté sur la bouteille.
La mère était quant à elle quasi invisible, hormis pour faire rentrer sa marmaille plus nombreuse chaque année, dès que quelqu'un faisait mine de s'approcher de leur logis .
L'année scolaire était bien avancée lorsqu'elle fût victime d'une violente crise d'appendicite.
Les pompiers locaux, tous volontaires bien entendu ( pas de village à l'époque sans pompiers ), appellés en renfort trouvèrent rapidement un véhicule ou plutôt une vieille guimbarde pour l'emmener à l'hôpital le plus proche, distant de plus de 15 kms.
Arrivée dans les cris et les pleurs, se tordant de douleurs, elle fût dirigée en chirurgie ou le praticien ne pût que constater qu'elle était en train...d'accoucher !
Le père putatif était son propre père, grand-père aussi au demeurant de l'enfant qu'elle mettait au monde.
Celui-ci fût promptement arrêté, jugé et placé en prison pour quelques années.
La famille respira ainsi quelques temps, mise à l'index par certains, aidée discrètement par les autres, instituteur en tête, encore fer de lance à l'époque d'une certaine classe érudite, républicaine et laïque dont il était le digne représentant dans ce village essentiellement peuplé de paysans.
Au fur et à mesure, le temps passant, leurs enfants gagnèrent la ville et les usines qui embauchaient à tour de bras, mais c'est une autre histoire.
En dehors de ces "anecdotes", ma petite enfance se passait donc entre mes grands-parents et les galopins du village .
Courant dans les chemins herbeux,
sautant avec délectation dans les meules de foin, décampant comme si nous avions le diable aux trousses, à l'arrivée des fermiers furieux que nous ayons mis à mal l'édifice patiemment érigé,
vagabondant jusqu'à la rivière où nous finissions de toute façon à l'eau simplement vêtus de nos slips, ne rentrant chez nous qu'une fois ces derniers séchés au risque de nous faire vertement réprimandés pour ne pas dire fessés d'avoir désobéis,
investigant les greniers des uns et des autres, découvrant de véritables trésors dans de grandes malles en osier entre vêtements mités et livres jaunis sentant la poussière et l'encre, ahuris parfois de constater que certains de nos parents avaient obtenu un premier prix de conduite,
explorant les caves voutées, vestiges d'anciens souterrains sentant l'humidité et le salpêtre, tricotant des pinceaux jusqu'au petit aérodrome voisin, nous cachant derrière les hautes herbes pour voir décoller de vieux biplans, magnifiques coucous volants traînant derrière eux les premiers planeurs venus d'Allemagne ou de Hollande,
enfourchant des biclous d'avant-guerre trop grands pour nous devant choisir entre pédaler ou poser notre derrière sur la selle, tombant parfois dans des fossés d'où dépassaient de grandes brassées d'orties au grand dam de nos bras et mollets qui en ressortaient enflammés au détour d'un virage raté,
prospectant les bois, traçant au travers des champs de blé mûr où foisonnaient coquelicots et bleuets, agaçant au passage papillons et abeilles dont le bourdonnement furieux nous faisaient déguerpir aussi vite que les propriétaires des lieux,
attrapant les lézards paressant au soleil sur les murs du cimetière, nous retrouvant bien souvent avec le vestige de leur queue remuante entre les doigts,
dépeçant quelques pieds de maïs choisis, transformant les épis chevelus en poupée que nous tressions,
gambadant dans les champs de luzerne que nous évitions comme la peste une fois coupés, leur chaume particulièrement âpre et virulent nous écorchant durement...
Bref, tout ce qui aujourd'hui nous ferait sans doute taxer de hooligans.
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