Chroniques de la peur ordinaire en Sarkozie : Abraham.
Abraham est un petit bonhomme de bientôt 10 ans.
Sa belle peau noire aux reflets moirés ressemble à du velours.
Ses cheveux courts moutonnent sur une bouille ronde où les deux grands calots que sont ses yeux roulent drôlatiquement lorsqu'il fait le clown.
La première fois que je l'ai vu, c'est de terreur que ses yeux quasi exhorbités tournaient tandis que tout son corps était raidi sous le coup de l'épouvante.
La vision d'Abraham tétanisé et en sanglots regardant son père arriver au tribunal administratif où il comparaissait, menotté au dos et cerné de plusieurs gendarmes ne laissait aucun doute : Abraham était terrifié.
Sa peur palpable était aussi opaque que les profonds brouillards cauchemardesques dont on n'arrive pas à émerger.
Accroché à sa mère comme un naufragé à la dérive, c'est à la dérobée qu'il regardait son père, tremblant de tous ses membres de le voir ainsi entouré de tant d'uniformes, tailles bardées d'armes et autres menottes qui ajoutaient à son affolement.
Abraham n'a pas compris pourquoi les policiers sont venus arrêter son père à leur domicile. C'était un mardi matin, ils s'apprêtaient tous deux à partir pour le chemin de l'école, tandis que sa maman se préparait rapidement pour filer à son travail.
Les coups ont résonné violemment à la porte.
Sa maman a répondu affolé tandis que les policiers investissaient leur appartement et demandaient avec insistance où était son père.
Son papa Maurice est sorti de la chambre où il était allé chercher sa veste pour ensuite l'accompagner à l'école.
Abraham n'a pas compris non plus pourquoi les tiroirs de la commode ont été fouillés, ni pourquoi son papa brandissait son passeport tandis que sa maman répondait que c'était l'avocate qui s'occupait du "dossier de régularisation" de son papa qui leur avait dit de ne pas répondre à une convocation.
Abraham a vu son père partir et monter dans la voiture de la Police sous les yeux de tous leurs voisins sans qu'il sache pourquoi.
- " Maman, qu'est-ce qu'il a fait papa ? Des choses pas bien ? Il a volé ? Il a fait des choses trop graves ? "
- " Non, Abraham, ne t'inquiète pas, il n'a rien fait de mal, il n'a seulement pas de carte de séjour "
- " Alors pourquoi il l'emmène comme un bandit ? "
- " Je ne sais pas...J'appelle notre avocate, celle qui défend les droits de ton papa "
C'est ainsi qu'Abraham a eu son premier contact avec la Police.
Et dans sa petite caboche d'enfant dorénavant le mot, l'uniforme, l'institution "Police" signifie DANGER.
Jusqu'à cet instant, chaque matin depuis qu'il est scolarisé, c'était son papa Maurice qui le réveillait, lui préparait son petit déjeûner, l'aidait à s'habiller puis l'accompagnait jusqu'à son école où il revenait le chercher sans coup férir à 11h45.
Ils déjeûnaient ensemble, puis le rituel des aller-retour vers l'école reprenait au rythme des horaires scolaires.
A 16H30, son papa Maurice était là, fidèle au poste.
Son papa Maurice, il ne connaît que lui.
Il a bien un autre papa, mais qui s'est totalement désintéressé de lui depuis sa naissance, pour finir par l'abandonner définitivement à 18 mois.
Maurice est entré dans sa vie et surtout celle de sa maman quelque temps plus tard, et il n'a plus de souvenir que de lui .
Si longues sont ces 7 années écoulées pour ce garçonnet de 10 ans à peine que sa petite enfance ne lui a laissé de traces que ces deux visages là : sa mère Pitchouna et son père Maurice.
Depuis l'arrestation, Abraham ne dort plus, ne mange plus, pleure souvent en silence dans sa chambre.
L'école, il ne veut plus y aller.
D'ailleurs ses camarades de classe l'ennuient : ils veulent jouer avec lui, mais cela le dérange dans ses sombres pensées et finit souvent mal.
Pour avoir la paix, Abraham donne des coups.
Il est "méchant" !
Mais à quoi cela sert-il d'être gentil puisque son Papa Maurice l'est lui, gentil.
Pourtant il a été emmené comme un malfaiteur, menottes aux poignets.
Aujourd'hui, Abraham et sa maman sont au tribunal administratif.
Il veut voir son père, l'embrasser, comprendre.
Il veut qu'on le relâche, que la police le relâche.
Car dans sa tête, c'est la Police la responsable.
Sa maman et lui sont français. C'est ce qu'elle lui a dit en tout cas.
Abraham se serre très fort contre sa mère. Il est à sa droite et moi à sa gauche.
Un banc nous sépare de son père. Et sur ce banc : un policier.
Abraham est tétanisé, à la limite des hurlements.
Ses yeux devenus fous de peur vont du policier à son père, de son père à sa mère .
Je lui saisis la main pour tenter de le rassurer.
Il semble étonné et regarde sa mère.
Les exposés des avocats commencent.
Abraham ne comprend pas grand-chose à ce que dit l'avocat de la préfecture.
Sa maman et son papa se seraient mariés juste pour avoir des papiers.
C'est bizarre. Il se souvient de la belle fête l'année précédente.
Il sait aussi que sa maman et son papa aimerait lui donner un petit frère ou une petite soeur.
Mais ce bébé se fait attendre.
Son père et sa mère consultent un spécialiste pourtant, depuis près de trois ans.
Mais son Papa Maurice est malade, il faut être patient. C'est ce que lui a répondu sa mère.
L'avocat de la préfecture ne veut pas entendre ce que lui répond l'avocate de Maurice.
Il dit que sa mère a répondu par deux fois à son nom de jeune fille plutôt qu'à celui de femme mariée, et que tout cela est très suspect.
Sa maman a immédiatement réagi, et comme la présidente lui demandait de rester calme, elle est sortie en pleurant.
Abraham voulait la suivre.
Je l'en ai empêché en le rassurant : elle allait revenir, il ne fallait pas qu'il s'alarme plus.
Les exposés étant terminés, sa maman revenue, la présidente du Tribunal a déclaré qu'elle se retirait pour délibérer.
Une heure après, elle annulait l'Ordre de Quitter le Territoire Français délivré à l'encontre de son père.
Abraham était soulagé.
Lorsque la Présidente a dit que l'OQTF était annulé, il a compris aux sourires de sa mère et des gens qui l'entouraient que son père allait rentrer à la maison.
D'abord timidement il s'est approché de lui, puis encouragé par sa mère ainsi que les autres personnes présentes, il s'est jeté dans ses bras en le serrant très fort.
Maurice a été libéré dans l'heure qui suivait.
Depuis, Maurice a redéposé une nouvelle demande en régularisation .
Son hypertension ainsi que le stress engendré par cette situation ont endommagé des vaisseaux à la périphérie de son coeur.
Lors des examens demandés pour constituer son dossier, le cardiologue qui le recevait en consultation a décidé de le garder quelques jours en service cardiologie à l'hôpital.
A sa sortie de l'école, Abraham ne trouvant pas son Papa Maurice s'est aussitôt affolé.
Il a refusé de croire ce que lui disait sa mère.
Non, son père n'était pas hospitalisé, c'était encore la Police qui était venue l'arrêter et il ne le reverrait plus jamais !
C'était une menteuse !
La colère l'a emporté, il a crié, pleuré, tempêté.
Sa mère a fait ce qu'il fallait.
Elle a décroché son téléphone, appellé l'hôpital, lui a passé son père et l'a laissé discuter un moment avec lui.
Pourtant, un doute a subsisté en lui lorsqu'il a raccroché :
- " Tu es sure que ce n'est pas la Police qui a fait cela à Papa ? " ...
Quelques jours plus tard, j'ai revu Abraham et sa mère, puis son père.
Pitchouna rayonnait, c'était une autre femme.
Abraham a esquissé un sourire, mais s'est renfrogné immédiatement lorsqu'une voiture de police est passée à proximité .
Maurice se soigne. Il est très fatigué. Il est de toute façon plus détendu.
Le moral est au rendez-vous. Il espère maintenant obtenir une carte de séjour.
Mais Abraham ?
Quels stigmates, séquelles, conséquences vont avoir sur lui ces événements ?
Est-il normal pour lui, comme pour Zafar-Ali que la Police ne soit plus qu'un Danger ?
En tout état de cause à charge et non à décharge.
C'est une grande inquiétude .
Que fera-t-il de cette peur, de ce sentiment d'injustice à l'adolescence ?
La politique des Sarkozy-Hortefeux n'est-elle pas en train d'armer des bombes à retardement ?
Sa belle peau noire aux reflets moirés ressemble à du velours.
Ses cheveux courts moutonnent sur une bouille ronde où les deux grands calots que sont ses yeux roulent drôlatiquement lorsqu'il fait le clown.
La première fois que je l'ai vu, c'est de terreur que ses yeux quasi exhorbités tournaient tandis que tout son corps était raidi sous le coup de l'épouvante.
La vision d'Abraham tétanisé et en sanglots regardant son père arriver au tribunal administratif où il comparaissait, menotté au dos et cerné de plusieurs gendarmes ne laissait aucun doute : Abraham était terrifié.
Sa peur palpable était aussi opaque que les profonds brouillards cauchemardesques dont on n'arrive pas à émerger.
Accroché à sa mère comme un naufragé à la dérive, c'est à la dérobée qu'il regardait son père, tremblant de tous ses membres de le voir ainsi entouré de tant d'uniformes, tailles bardées d'armes et autres menottes qui ajoutaient à son affolement.
Abraham n'a pas compris pourquoi les policiers sont venus arrêter son père à leur domicile. C'était un mardi matin, ils s'apprêtaient tous deux à partir pour le chemin de l'école, tandis que sa maman se préparait rapidement pour filer à son travail.
Les coups ont résonné violemment à la porte.
Sa maman a répondu affolé tandis que les policiers investissaient leur appartement et demandaient avec insistance où était son père.
Son papa Maurice est sorti de la chambre où il était allé chercher sa veste pour ensuite l'accompagner à l'école.
Abraham n'a pas compris non plus pourquoi les tiroirs de la commode ont été fouillés, ni pourquoi son papa brandissait son passeport tandis que sa maman répondait que c'était l'avocate qui s'occupait du "dossier de régularisation" de son papa qui leur avait dit de ne pas répondre à une convocation.
Abraham a vu son père partir et monter dans la voiture de la Police sous les yeux de tous leurs voisins sans qu'il sache pourquoi.
- " Maman, qu'est-ce qu'il a fait papa ? Des choses pas bien ? Il a volé ? Il a fait des choses trop graves ? "
- " Non, Abraham, ne t'inquiète pas, il n'a rien fait de mal, il n'a seulement pas de carte de séjour "
- " Alors pourquoi il l'emmène comme un bandit ? "
- " Je ne sais pas...J'appelle notre avocate, celle qui défend les droits de ton papa "
C'est ainsi qu'Abraham a eu son premier contact avec la Police.
Et dans sa petite caboche d'enfant dorénavant le mot, l'uniforme, l'institution "Police" signifie DANGER.
Jusqu'à cet instant, chaque matin depuis qu'il est scolarisé, c'était son papa Maurice qui le réveillait, lui préparait son petit déjeûner, l'aidait à s'habiller puis l'accompagnait jusqu'à son école où il revenait le chercher sans coup férir à 11h45.
Ils déjeûnaient ensemble, puis le rituel des aller-retour vers l'école reprenait au rythme des horaires scolaires.
A 16H30, son papa Maurice était là, fidèle au poste.
Son papa Maurice, il ne connaît que lui.
Il a bien un autre papa, mais qui s'est totalement désintéressé de lui depuis sa naissance, pour finir par l'abandonner définitivement à 18 mois.
Maurice est entré dans sa vie et surtout celle de sa maman quelque temps plus tard, et il n'a plus de souvenir que de lui .
Si longues sont ces 7 années écoulées pour ce garçonnet de 10 ans à peine que sa petite enfance ne lui a laissé de traces que ces deux visages là : sa mère Pitchouna et son père Maurice.
Depuis l'arrestation, Abraham ne dort plus, ne mange plus, pleure souvent en silence dans sa chambre.
L'école, il ne veut plus y aller.
D'ailleurs ses camarades de classe l'ennuient : ils veulent jouer avec lui, mais cela le dérange dans ses sombres pensées et finit souvent mal.
Pour avoir la paix, Abraham donne des coups.
Il est "méchant" !
Mais à quoi cela sert-il d'être gentil puisque son Papa Maurice l'est lui, gentil.
Pourtant il a été emmené comme un malfaiteur, menottes aux poignets.
Aujourd'hui, Abraham et sa maman sont au tribunal administratif.
Il veut voir son père, l'embrasser, comprendre.
Il veut qu'on le relâche, que la police le relâche.
Car dans sa tête, c'est la Police la responsable.
Sa maman et lui sont français. C'est ce qu'elle lui a dit en tout cas.
Abraham se serre très fort contre sa mère. Il est à sa droite et moi à sa gauche.
Un banc nous sépare de son père. Et sur ce banc : un policier.
Abraham est tétanisé, à la limite des hurlements.
Ses yeux devenus fous de peur vont du policier à son père, de son père à sa mère .
Je lui saisis la main pour tenter de le rassurer.
Il semble étonné et regarde sa mère.
Les exposés des avocats commencent.
Abraham ne comprend pas grand-chose à ce que dit l'avocat de la préfecture.
Sa maman et son papa se seraient mariés juste pour avoir des papiers.
C'est bizarre. Il se souvient de la belle fête l'année précédente.
Il sait aussi que sa maman et son papa aimerait lui donner un petit frère ou une petite soeur.
Mais ce bébé se fait attendre.
Son père et sa mère consultent un spécialiste pourtant, depuis près de trois ans.
Mais son Papa Maurice est malade, il faut être patient. C'est ce que lui a répondu sa mère.
L'avocat de la préfecture ne veut pas entendre ce que lui répond l'avocate de Maurice.
Il dit que sa mère a répondu par deux fois à son nom de jeune fille plutôt qu'à celui de femme mariée, et que tout cela est très suspect.
Sa maman a immédiatement réagi, et comme la présidente lui demandait de rester calme, elle est sortie en pleurant.
Abraham voulait la suivre.
Je l'en ai empêché en le rassurant : elle allait revenir, il ne fallait pas qu'il s'alarme plus.
Les exposés étant terminés, sa maman revenue, la présidente du Tribunal a déclaré qu'elle se retirait pour délibérer.
Une heure après, elle annulait l'Ordre de Quitter le Territoire Français délivré à l'encontre de son père.
Abraham était soulagé.
Lorsque la Présidente a dit que l'OQTF était annulé, il a compris aux sourires de sa mère et des gens qui l'entouraient que son père allait rentrer à la maison.
D'abord timidement il s'est approché de lui, puis encouragé par sa mère ainsi que les autres personnes présentes, il s'est jeté dans ses bras en le serrant très fort.
Maurice a été libéré dans l'heure qui suivait.
Depuis, Maurice a redéposé une nouvelle demande en régularisation .
Son hypertension ainsi que le stress engendré par cette situation ont endommagé des vaisseaux à la périphérie de son coeur.
Lors des examens demandés pour constituer son dossier, le cardiologue qui le recevait en consultation a décidé de le garder quelques jours en service cardiologie à l'hôpital.
A sa sortie de l'école, Abraham ne trouvant pas son Papa Maurice s'est aussitôt affolé.
Il a refusé de croire ce que lui disait sa mère.
Non, son père n'était pas hospitalisé, c'était encore la Police qui était venue l'arrêter et il ne le reverrait plus jamais !
C'était une menteuse !
La colère l'a emporté, il a crié, pleuré, tempêté.
Sa mère a fait ce qu'il fallait.
Elle a décroché son téléphone, appellé l'hôpital, lui a passé son père et l'a laissé discuter un moment avec lui.
Pourtant, un doute a subsisté en lui lorsqu'il a raccroché :
- " Tu es sure que ce n'est pas la Police qui a fait cela à Papa ? " ...
Quelques jours plus tard, j'ai revu Abraham et sa mère, puis son père.
Pitchouna rayonnait, c'était une autre femme.
Abraham a esquissé un sourire, mais s'est renfrogné immédiatement lorsqu'une voiture de police est passée à proximité .
Maurice se soigne. Il est très fatigué. Il est de toute façon plus détendu.
Le moral est au rendez-vous. Il espère maintenant obtenir une carte de séjour.
Mais Abraham ?
Quels stigmates, séquelles, conséquences vont avoir sur lui ces événements ?
Est-il normal pour lui, comme pour Zafar-Ali que la Police ne soit plus qu'un Danger ?
En tout état de cause à charge et non à décharge.
C'est une grande inquiétude .
Que fera-t-il de cette peur, de ce sentiment d'injustice à l'adolescence ?
La politique des Sarkozy-Hortefeux n'est-elle pas en train d'armer des bombes à retardement ?
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