Histoires et Secrets de Femmes : Les Choix de Circé (3).
Première partie :
Comment parler d'un choix sans parler des événements qui l'entourent ?
C'est souvent ce que font les théoriciens, les tenants de la "Bonne Parole", de la soi-disant "Vertu" érigée en valeur non pas en l'occurence salvatrice mais destructrice.
Ne serait-il pas judicieux avant de s'immiscer de façon intrusive et dévastatrice dans l'intimité du choix d'une femme de s'y reporter, d'écouter et surtout de se taire ?
Je ne peux donc pour ma part faire l'impasse du contexte.
C'est ainsi en deux parties, sans doute un peu longue que je vais rapporter mon troisième vécu face au choix de l'avortement ou non.
Le troisième millénaire venait d'être fêté un peu partout sur la planète à grands renforts de festivités plus grandioses les unes que les autres.
Dans mon enfance, c'était une date magique.
Tout y était possible.
Le progrès technologique nous ferait vivre sur une autre planète, les bébés seraient selon certains romanciers ou scientifiques portés en dehors du ventre de leur mère, l'égalité sociale pour tous serait de mise, plus de famine où que ce soit sur cette terre, l'abolition des préjugés raciaux et surtout la fin de tous les conflits.
Mon adolescence a été portée par la lutte contre la guerre du Vietnam.
J'ai pris part à de nombreuses manifestations à Paris pour dénoncer cette horreur, tout comme j'ai défilé en 1973 contre la prise de pouvoir de Pinochet au Chili et l'assassinat du président Salvador Allende.
Mes figures emblématiques, à l'époque, étaient :
Angela Davis pour qui je voue encore une grande admiration et que j'ai eu le bonheur d'entendre il y a quelque temps sur France Inter.
Une anecdote me revient en mémoire.
Pour ressembler à mon idole, je m'étais fait couper et friser, je devrais dire brûler les cheveux bien que ma couleur de peau ne fasse aucun doute, j'étais blanche, mais qu'importe !
Martin Luther King assassiné pour ses positions et son engagement pacifique dans la lutte pour les droits civiques des noirs américains.
Nelson Mandéla qui luttait du fond de sa prison contre l'apartheid en Afrique du sud, Monseigneur Roméro assassiné au Salvador dont la vie avait été tournée vers les plus pauvres, les plus démunis...
Et aussi Bernadette Devlin et les grandes marches en Irlande du nord...
J'en oublie sans doute, mais ceux-là sont encore très présents.
Et puis 2000, est arrivé et qu'y avait-il de changé ?
Rien...Les hommes étaient pathétiquement les mêmes.
Le mur de Berlin était certes tombé, mais quel bilan des années après ?
Au Rwanda, un génocide s'est perpétré et qu'avons-nous fait ?
Rien, quel importance. C'est vrai qu'il y avait le Kosovo.
Etait-ce la proximité géographique qui avait fait la différence ?
Comme j'aurais aimé qu'un BHL, Kouchner ou bien d'autre interviennent de la même façon pour cette partie du globe.
A cette époque j'attendais une petite fille, ma première fille métisse.
Le cousin de son papa habitait Goma et nous décrivait la situation dantesque, les massacres, les colonnes de réfugiés, les femmes, les enfants...
Et ici, en France ?
Quelques entrefilets dans les médias écrits, 30 secondes dans les journaux télévisés pour égrener un chiffre toujours croissant et le silence, l'effrayant silence...
Combien de temps avant que de véritables reportages ne soient fait ?
Bien trop longtemps, bien trop tard...
J'en porte toujours au fond du coeur une honte et amertume profondes.
La France, patrie des Droits de l'Homme n'avait rien fait, pire elle était sans doute responsable de cet état de choses et l'opération Turquoise n'avait fait qu'exfiltrer les européens. Les massacres pouvaient continuer tranquillement.
Bien d'autres ignominies étaient en devenir, mais je ne le savais pas encore.
Pour ma part, j'avais mis un point final à mon mariage quelques années auparavant.
Dans la douleur et la violence subie.
La vie commune que j'avais partagée ensuite pendant presque 6 années avec le père de mes filles avait pris fin depuis peu.
Et j'avais repris mes études.
Je prenais des cours pour obtenir mon DAEU, diplôme d'accès aux études universitaires.
Comment dire à mes enfants qu'étudier était essentiel si moi-même je ne pouvais le leur prouver ?
Parfois, et je crois que ceux qui ont vécu des événements douloureux me comprendront, tout se précipite quand le malheur sonne à la porte.
Pour moi, cela a commencé d'abord par deux coups de téléphone après les fêtes.
Le premier un dimanche soir :
-" Allo, Mme R...?",
-"Oui, c'est bien moi, mais je ne porte plus ce nom, je suis divorcée..."
-" Vous êtes bien la mère de A...?"
-" Oui, c'est bien moi."
-" Maître D..., je vous appelle pour vous dire que votre fils vient d'être incarcéré à la prison de B..., je suis son avocat commis d'office et il m'a demandé de vous prévenir."
Mes jambes ont du mal à me porter.
Je sens un vide terrible et je m'assois.
-"Vous pourrez lui amener quelques affaires ?"
-" Je n'habite pas la même ville que lui, mais je peux avoir accès à son appartement par le biais de son amie. "
-"Vous pourrez ensuite demander un droit de visite au juge. Voici les différents numéros que vous devez noter : le numéro de téléphone de la prison à utiliser pour avertir que vous amenez ses affaires. A garder, ce sera le même que vous utiliserez pour prendre RDV au parloir. Voici aussi le numéro de téléphone du cabinet du juge que vous contacterez pour demander le droit de visite et puis enfin le numéro de cellule de votre fils que vous devrez indiquer sur le sac qui contiendra ses vêtements ainsi que sur tous les courriers que vous lui enverrez."
Mon interlocuteur m'ayant donné tous les renseignements, il raccroche.
Des larmes ruissellent sur mon visage, mais je suis soulagée.
Je ne sais si c'est horrible de dire cela, mais oui je suis soulagée.
Je sais où il est et pourquoi il a été incarcéré.
On ne le retrouvera pas dans un squatte quelconque mort d'une overdose.
Et comme il n'a agressé personne pour obtenir de l'argent et se payer sa dose, alors oui je suis soulagée.
Peu de temps auparavant, il était venu passer quelques jours à la maison entre une virée aux Pays-bas pour mieux assouvir son potentiel mortel penchant, une pause de 7 jours où il n'a fait que dormir ( le résultat de ses défonces...) et je l'ai appris plus tard, un RDV avec son approvisionneur qui lui remettrait entre autre une quantité non négligeable de "came" à revendre. C'est de cette façon qu'il tenait.
A son procès, j'ai cru défaillir en entendant tout ce qu'il prenait chaque jour.
Les doses, quantités, produits.
Hormis ce qui se prenait par injection intraveineuse, il avait tout essayé, mélangé, même des produits vétérinaires pour fuir, planer, rêver sa vie.
Je l'ai supplié d'arrêter, de venir vivre à la maison, de se faire soigner et aider pour décrocher.
Rien n'y a fait.
Il me promettait de revenir quelques jours après avoir mis de l'ordre dans ses affaires, rendu les clés de son appartement...
Pour avoir connu les paroles d'alcoolique, je ne voyais aucune différence.
Je n'avais aucun espoir si cela ne venait pas de lui.
Alors ce coup de téléphone était un immense chagrin et constat d'échec, mais aussi une pose dans mes peurs et l'espoir pour lui d'un début de vie autrement.
Je ne tarderai pas à déchanter car si les premiers mois d'incarcération semblaient lui avoir servi de leçon, au bout du troisième il arrivait à s'approvisionner en drogue, au sein même de l'établissement pénitentiaire.
Mon premier contact avec la prison me laissera à jamais un profond goût d'amertume et de honte.
Car pour certain, il ne suffit pas que votre enfant soit détenu, il faut aussi que vous sentiez l'opprobre à laquelle vous êtes dorénavant soumis.
J'avais demandé dès le lendemain matin les modalités auxquelles je devais me soumettre pour faire parvenir à mon fils quelques vêtements.
Dès le début d'après-midi je sonnais à une immense porte soutenue par ces arcades si typiques qui vous disent la réalité de l'endroit où vous êtes.
Et j'allais m'en rendre compte, il en est de la prison comme ailleurs : Vous pouvez être confrontée à toute sorte de personnage.
Celui qui allait m'ouvrir la porte était la caricature même du gardien de prison, de celle qui alimente l'insconcient collectif.
C'était l'individu le plus odieux qui puisse exister et c'est lui qui allait "m'accueillir".
-"Vous êtes qui ? Que voulez-vous ? Vous avez une pièce d'identité ?..."
Interrogatoire glacial donc au travers du judas qui ne manque pas d'exister sur toutes les portes de prison, porte qui finit par s'ouvrir.
Le gardien avance, et referme derrière lui le battant d'une sorte de poterne.
Je me sens jaugée, jugée, méprisée, soupesée à l'aune des actes de mon fils.
Plus tard, j'ai su qu'il avait normalement la possibilité de me faire entrer dans la cour intérieure.
Mais qu'attendre de ce genre d'individu ?
Loin de moi l'idée de démolir l'image de tous les gardiens de prison.
J'ai pu heureusement pour cette profession rencontrer au long des 6 mois qui allaient venir des types bien.
Pour l'heure c'était à un individu sans âme à qui j'avais à faire.
Je lui ai tendu en tremblant intérieurement d'émotion ma pièce d'identité ainsi que le sac de vêtements réglementairement estampillé au numéro de cellule de mon fils, en gros comme il se doit.
Il avait plu ce jour-là, nous étions en janvier.
Les vêtements que j'avais récupérés, lavés, repassés se sont tous retrouvés renversés sur le sol mouillé.
Façon on ne peut plus normal de vérifier la licité du contenu.
Puis, ils ont été ensuite ré-enfournés bien évidemment salis, en vrac dans le dit sac.
Scène qui se passait bien évidemment au vu et au su des passants qui assistaient au spectacle, l'oeil torve ou médusé.
Et comme cette prison est située entre un hôpital, un lycée et des immeubles d'habitation, ils n'en manquaient pas (de passants).
Je ne sais si j'étais décomposée de rage ou de colère froide.
Je suis restée très droite, la tête haute et le regard digne.
Mon amie C. m'avait dit de faire résonner en moi mes racines corses, pourtant éloignées et quasi illégitimes de mon arbre généalogique.
Je lui en vouerai un remerciement éternel, car cela m'a permis de tenir ce jour là et les autres.
Etre digne, toujours digne, malgré l'adversité, malgré tout !
J'ai aussi appris à connaître l'association oecuménique dédiée aux parents de détenus située à proximité de la prison.
Elle y fait un grand travail d'accueil, d'information, de soutien, d'écoute et de dédramatisation.
Avoir un proche en prison, c'est mettre à l'index toute une famille.
Aussi l'existence de ces associations aide à une quasi réhabilitation familiale.
Combien cela devrait exister partout et combien plutôt que de s'occuper de ceux qui ne sont pas encore nés, certains seraient plus avisés de s'occuper de ceux qui sont vivants, certes incarcérés, mais dans des conditions de vie dénoncées même au niveau international .
Mais sans doute est-ce bien trop difficile pour eux alors que s'en prendre à des femmes en souffrance est plus simple et aisé ?
En tout état de cause, merci à celles et à ceux qui "passé, présent, avenir" ont été, sont, seront ceux qui rasséréneront, réconforteront par leur travail les proches de condamnés .
Le second coup de téléphone résonnera une semaine plus tard.
-"Allo..., c'est maman. J'ai une bien triste nouvelle à t'apprendre ton oncle G. est mort.
J'ai déjà parlé de cet événement, de mon ressenti il y a quelque temps.
Aussi j'élude et reprends à l'instant de son décès.
Comment parler d'un choix sans parler des événements qui l'entourent ?
C'est souvent ce que font les théoriciens, les tenants de la "Bonne Parole", de la soi-disant "Vertu" érigée en valeur non pas en l'occurence salvatrice mais destructrice.
Ne serait-il pas judicieux avant de s'immiscer de façon intrusive et dévastatrice dans l'intimité du choix d'une femme de s'y reporter, d'écouter et surtout de se taire ?
Je ne peux donc pour ma part faire l'impasse du contexte.
C'est ainsi en deux parties, sans doute un peu longue que je vais rapporter mon troisième vécu face au choix de l'avortement ou non.
Le troisième millénaire venait d'être fêté un peu partout sur la planète à grands renforts de festivités plus grandioses les unes que les autres.
Dans mon enfance, c'était une date magique.
Tout y était possible.
Le progrès technologique nous ferait vivre sur une autre planète, les bébés seraient selon certains romanciers ou scientifiques portés en dehors du ventre de leur mère, l'égalité sociale pour tous serait de mise, plus de famine où que ce soit sur cette terre, l'abolition des préjugés raciaux et surtout la fin de tous les conflits.
Mon adolescence a été portée par la lutte contre la guerre du Vietnam.
J'ai pris part à de nombreuses manifestations à Paris pour dénoncer cette horreur, tout comme j'ai défilé en 1973 contre la prise de pouvoir de Pinochet au Chili et l'assassinat du président Salvador Allende.
Mes figures emblématiques, à l'époque, étaient :
Angela Davis pour qui je voue encore une grande admiration et que j'ai eu le bonheur d'entendre il y a quelque temps sur France Inter.
Une anecdote me revient en mémoire.
Pour ressembler à mon idole, je m'étais fait couper et friser, je devrais dire brûler les cheveux bien que ma couleur de peau ne fasse aucun doute, j'étais blanche, mais qu'importe !
Martin Luther King assassiné pour ses positions et son engagement pacifique dans la lutte pour les droits civiques des noirs américains.
Nelson Mandéla qui luttait du fond de sa prison contre l'apartheid en Afrique du sud, Monseigneur Roméro assassiné au Salvador dont la vie avait été tournée vers les plus pauvres, les plus démunis...
Et aussi Bernadette Devlin et les grandes marches en Irlande du nord...
J'en oublie sans doute, mais ceux-là sont encore très présents.
Et puis 2000, est arrivé et qu'y avait-il de changé ?
Rien...Les hommes étaient pathétiquement les mêmes.
Le mur de Berlin était certes tombé, mais quel bilan des années après ?
Au Rwanda, un génocide s'est perpétré et qu'avons-nous fait ?
Rien, quel importance. C'est vrai qu'il y avait le Kosovo.
Etait-ce la proximité géographique qui avait fait la différence ?
Comme j'aurais aimé qu'un BHL, Kouchner ou bien d'autre interviennent de la même façon pour cette partie du globe.
A cette époque j'attendais une petite fille, ma première fille métisse.
Le cousin de son papa habitait Goma et nous décrivait la situation dantesque, les massacres, les colonnes de réfugiés, les femmes, les enfants...
Et ici, en France ?
Quelques entrefilets dans les médias écrits, 30 secondes dans les journaux télévisés pour égrener un chiffre toujours croissant et le silence, l'effrayant silence...
Combien de temps avant que de véritables reportages ne soient fait ?
Bien trop longtemps, bien trop tard...
J'en porte toujours au fond du coeur une honte et amertume profondes.
La France, patrie des Droits de l'Homme n'avait rien fait, pire elle était sans doute responsable de cet état de choses et l'opération Turquoise n'avait fait qu'exfiltrer les européens. Les massacres pouvaient continuer tranquillement.
Bien d'autres ignominies étaient en devenir, mais je ne le savais pas encore.
Pour ma part, j'avais mis un point final à mon mariage quelques années auparavant.
Dans la douleur et la violence subie.
La vie commune que j'avais partagée ensuite pendant presque 6 années avec le père de mes filles avait pris fin depuis peu.
Et j'avais repris mes études.
Je prenais des cours pour obtenir mon DAEU, diplôme d'accès aux études universitaires.
Comment dire à mes enfants qu'étudier était essentiel si moi-même je ne pouvais le leur prouver ?
Parfois, et je crois que ceux qui ont vécu des événements douloureux me comprendront, tout se précipite quand le malheur sonne à la porte.
Pour moi, cela a commencé d'abord par deux coups de téléphone après les fêtes.
Le premier un dimanche soir :
-" Allo, Mme R...?",
-"Oui, c'est bien moi, mais je ne porte plus ce nom, je suis divorcée..."
-" Vous êtes bien la mère de A...?"
-" Oui, c'est bien moi."
-" Maître D..., je vous appelle pour vous dire que votre fils vient d'être incarcéré à la prison de B..., je suis son avocat commis d'office et il m'a demandé de vous prévenir."
Mes jambes ont du mal à me porter.
Je sens un vide terrible et je m'assois.
-"Vous pourrez lui amener quelques affaires ?"
-" Je n'habite pas la même ville que lui, mais je peux avoir accès à son appartement par le biais de son amie. "
-"Vous pourrez ensuite demander un droit de visite au juge. Voici les différents numéros que vous devez noter : le numéro de téléphone de la prison à utiliser pour avertir que vous amenez ses affaires. A garder, ce sera le même que vous utiliserez pour prendre RDV au parloir. Voici aussi le numéro de téléphone du cabinet du juge que vous contacterez pour demander le droit de visite et puis enfin le numéro de cellule de votre fils que vous devrez indiquer sur le sac qui contiendra ses vêtements ainsi que sur tous les courriers que vous lui enverrez."
Mon interlocuteur m'ayant donné tous les renseignements, il raccroche.
Des larmes ruissellent sur mon visage, mais je suis soulagée.
Je ne sais si c'est horrible de dire cela, mais oui je suis soulagée.
Je sais où il est et pourquoi il a été incarcéré.
On ne le retrouvera pas dans un squatte quelconque mort d'une overdose.
Et comme il n'a agressé personne pour obtenir de l'argent et se payer sa dose, alors oui je suis soulagée.
Peu de temps auparavant, il était venu passer quelques jours à la maison entre une virée aux Pays-bas pour mieux assouvir son potentiel mortel penchant, une pause de 7 jours où il n'a fait que dormir ( le résultat de ses défonces...) et je l'ai appris plus tard, un RDV avec son approvisionneur qui lui remettrait entre autre une quantité non négligeable de "came" à revendre. C'est de cette façon qu'il tenait.
A son procès, j'ai cru défaillir en entendant tout ce qu'il prenait chaque jour.
Les doses, quantités, produits.
Hormis ce qui se prenait par injection intraveineuse, il avait tout essayé, mélangé, même des produits vétérinaires pour fuir, planer, rêver sa vie.
Je l'ai supplié d'arrêter, de venir vivre à la maison, de se faire soigner et aider pour décrocher.
Rien n'y a fait.
Il me promettait de revenir quelques jours après avoir mis de l'ordre dans ses affaires, rendu les clés de son appartement...
Pour avoir connu les paroles d'alcoolique, je ne voyais aucune différence.
Je n'avais aucun espoir si cela ne venait pas de lui.
Alors ce coup de téléphone était un immense chagrin et constat d'échec, mais aussi une pose dans mes peurs et l'espoir pour lui d'un début de vie autrement.
Je ne tarderai pas à déchanter car si les premiers mois d'incarcération semblaient lui avoir servi de leçon, au bout du troisième il arrivait à s'approvisionner en drogue, au sein même de l'établissement pénitentiaire.
Mon premier contact avec la prison me laissera à jamais un profond goût d'amertume et de honte.
Car pour certain, il ne suffit pas que votre enfant soit détenu, il faut aussi que vous sentiez l'opprobre à laquelle vous êtes dorénavant soumis.
J'avais demandé dès le lendemain matin les modalités auxquelles je devais me soumettre pour faire parvenir à mon fils quelques vêtements.
Dès le début d'après-midi je sonnais à une immense porte soutenue par ces arcades si typiques qui vous disent la réalité de l'endroit où vous êtes.
Et j'allais m'en rendre compte, il en est de la prison comme ailleurs : Vous pouvez être confrontée à toute sorte de personnage.
Celui qui allait m'ouvrir la porte était la caricature même du gardien de prison, de celle qui alimente l'insconcient collectif.
C'était l'individu le plus odieux qui puisse exister et c'est lui qui allait "m'accueillir".
-"Vous êtes qui ? Que voulez-vous ? Vous avez une pièce d'identité ?..."
Interrogatoire glacial donc au travers du judas qui ne manque pas d'exister sur toutes les portes de prison, porte qui finit par s'ouvrir.
Le gardien avance, et referme derrière lui le battant d'une sorte de poterne.
Je me sens jaugée, jugée, méprisée, soupesée à l'aune des actes de mon fils.
Plus tard, j'ai su qu'il avait normalement la possibilité de me faire entrer dans la cour intérieure.
Mais qu'attendre de ce genre d'individu ?
Loin de moi l'idée de démolir l'image de tous les gardiens de prison.
J'ai pu heureusement pour cette profession rencontrer au long des 6 mois qui allaient venir des types bien.
Pour l'heure c'était à un individu sans âme à qui j'avais à faire.
Je lui ai tendu en tremblant intérieurement d'émotion ma pièce d'identité ainsi que le sac de vêtements réglementairement estampillé au numéro de cellule de mon fils, en gros comme il se doit.
Il avait plu ce jour-là, nous étions en janvier.
Les vêtements que j'avais récupérés, lavés, repassés se sont tous retrouvés renversés sur le sol mouillé.
Façon on ne peut plus normal de vérifier la licité du contenu.
Puis, ils ont été ensuite ré-enfournés bien évidemment salis, en vrac dans le dit sac.
Scène qui se passait bien évidemment au vu et au su des passants qui assistaient au spectacle, l'oeil torve ou médusé.
Et comme cette prison est située entre un hôpital, un lycée et des immeubles d'habitation, ils n'en manquaient pas (de passants).
Je ne sais si j'étais décomposée de rage ou de colère froide.
Je suis restée très droite, la tête haute et le regard digne.
Mon amie C. m'avait dit de faire résonner en moi mes racines corses, pourtant éloignées et quasi illégitimes de mon arbre généalogique.
Je lui en vouerai un remerciement éternel, car cela m'a permis de tenir ce jour là et les autres.
Etre digne, toujours digne, malgré l'adversité, malgré tout !
J'ai aussi appris à connaître l'association oecuménique dédiée aux parents de détenus située à proximité de la prison.
Elle y fait un grand travail d'accueil, d'information, de soutien, d'écoute et de dédramatisation.
Avoir un proche en prison, c'est mettre à l'index toute une famille.
Aussi l'existence de ces associations aide à une quasi réhabilitation familiale.
Combien cela devrait exister partout et combien plutôt que de s'occuper de ceux qui ne sont pas encore nés, certains seraient plus avisés de s'occuper de ceux qui sont vivants, certes incarcérés, mais dans des conditions de vie dénoncées même au niveau international .
Mais sans doute est-ce bien trop difficile pour eux alors que s'en prendre à des femmes en souffrance est plus simple et aisé ?
En tout état de cause, merci à celles et à ceux qui "passé, présent, avenir" ont été, sont, seront ceux qui rasséréneront, réconforteront par leur travail les proches de condamnés .
Le second coup de téléphone résonnera une semaine plus tard.
-"Allo..., c'est maman. J'ai une bien triste nouvelle à t'apprendre ton oncle G. est mort.
J'ai déjà parlé de cet événement, de mon ressenti il y a quelque temps.
Aussi j'élude et reprends à l'instant de son décès.
Le train qui me conduisait vers les cendres de G. entrait en gare.
Ma fille aînée m'y attendait et me tiendrait compagnie, jusqu'au cimetière.
C'était une belle journée de janvier.
Une brume légère habillait encore de son voile diaphane la terre engourdie de froid.
Le soleil éclairait de ses pâles et timides rayons la campagne environnante.
La terre brune soigneusement retournée, exhibait ses sillons gras impeccablement tracés.
L'image d'un gigantesque ventre scarifié, aux dessins mystérieux et cabalistiques m'envahissait.
La terre, déesse mère attendait.
L'appel à la vie, à la résurrection.
Bientôt mon oncle y reposerait.
Ses cendres allaient s'y mêler intimement, fusionner, s'unir à elle.
La dernière étape du cycle de la vie.
Nous étions les premières arrivées au cimetière.
Les magnifiques cyprès qui bordaient son entrée avaient été abattus.
J'en concevais un profond regret.
Aux funérailles de mon grand-père, l'allégorie consolatrice de l'âme qui se libère et se hisse à leur sommet pour mieux atteindre le jardin céleste m'avait aidée.
Cependant mon regard était attiré par un spectacle étrange et magnifique.
Dans les labours à proximité, deux chevreuils, oreilles dressées m'observaient et ne bougeaient pas.
J'en éprouvais une joie secrète.
C'était un signe bienveillant.
Ils étaient là pour G.
Pour l'accueillir, le guider jusqu'au paradis des chasseurs, auprès du Grand Sachem.
Peu importe le nom qu'on lui donnait, c'est à ses côtés qu'il allait se retrouver, il l'attendait.
J'en étais sure.
Je me suis alors extirpée de la voiture, plus que je n'en suis sortie.
Lentement je me suis dirigée vers la sépulture de mes grands parents.
L'herbe givrée se brisait comme un fragile cristal sous mes pas.
Dans un instant G. reposerait à leur côté.
Le fourgon funéraire qui transportait son urne a fait irruption.
L'instant ultime des adieux pouvait commencer.
Les enfants de mon oncle ainsi que leur mère tout juste arrivés ont pris place autour de la tombe béante.
Misérablement, nous n'étions qu'une dizaine dont moi, seul et unique émissaire parental.
J'ai pourtant immédiatement su que je ne participais pas d'une simple cérémonie.
J'avais un rôle important à y jouer, en dehors de la représentation familiale.
L'officiant des pompes funèbres, troublé a dit quelques mots brefs en mémoire de mon oncle.
Il n'y avait pas eu de cérémonie religieuse.
Mon oncle comme ses parents avait toujours entretenu un rapport conflictuel à la foi entre interrogation et négation d'un être divin présidant à toute destinée.
Je pensais que son fils aurait pris la parole, sa soeur étant bien jeune.
Mais les plaies étaient encore très vives.
Leur mère les avait éloignés de leur père. Son alcoolisme avait fait le reste.
Ils n'avaient pas encore eu la possibilité d'effectuer un nécessaire travail de recul.
L'urne dans le caveau familial, j' ai su que je devais m'adresser à eux.
En son nom, je leur ai demandé d'accorder leur pardon à leur père, s'ils avaient eu à souffrir de son état, ces derniers mois.
Je savais qu'ils avaient eu souvent honte.
Mais je leur ai dit la maladie.
Je voulais qu'ils se souviennent que c'était un papa aimant, attentionné et prévenant.
Celui qui les accompagnait à l' école, fier d'eux et de leurs résultats scolaires.
Celui qui ,inquiet, les veillait lorsqu'ils étaient souffrants.
Les bons moments qu'ils avaient partagés, les vacances, les excursions, les sorties, le savoir, les expériences transmises ne pouvaient, ne devaient pas être oubliés ou rayés d'un définitif et cruel coup de crayon.
C'est en les serrant ensuite très fort dans mes bras que les larmes libératrices ont enfin coulé sur leurs visages hermétiquement fermés.
Les sanglots pouvaient les secouer désormais, je savais que j'avais accompli la tâche qui m'était insconciemment dévolue.
Leur père vivrait à travers mes paroles, autrement.
J'avais restauré son image.
Ne survivraient pas que le côté obscur et sombre de la maladie, ni ses ravages et ses stygmates.
Il pouvait reposer en paix.
Ma fille aînée m'y attendait et me tiendrait compagnie, jusqu'au cimetière.
C'était une belle journée de janvier.
Une brume légère habillait encore de son voile diaphane la terre engourdie de froid.
Le soleil éclairait de ses pâles et timides rayons la campagne environnante.
La terre brune soigneusement retournée, exhibait ses sillons gras impeccablement tracés.
L'image d'un gigantesque ventre scarifié, aux dessins mystérieux et cabalistiques m'envahissait.
La terre, déesse mère attendait.
L'appel à la vie, à la résurrection.
Bientôt mon oncle y reposerait.
Ses cendres allaient s'y mêler intimement, fusionner, s'unir à elle.
La dernière étape du cycle de la vie.
Nous étions les premières arrivées au cimetière.
Les magnifiques cyprès qui bordaient son entrée avaient été abattus.
J'en concevais un profond regret.
Aux funérailles de mon grand-père, l'allégorie consolatrice de l'âme qui se libère et se hisse à leur sommet pour mieux atteindre le jardin céleste m'avait aidée.
Cependant mon regard était attiré par un spectacle étrange et magnifique.
Dans les labours à proximité, deux chevreuils, oreilles dressées m'observaient et ne bougeaient pas.
J'en éprouvais une joie secrète.
C'était un signe bienveillant.
Ils étaient là pour G.
Pour l'accueillir, le guider jusqu'au paradis des chasseurs, auprès du Grand Sachem.
Peu importe le nom qu'on lui donnait, c'est à ses côtés qu'il allait se retrouver, il l'attendait.
J'en étais sure.
Je me suis alors extirpée de la voiture, plus que je n'en suis sortie.
Lentement je me suis dirigée vers la sépulture de mes grands parents.
L'herbe givrée se brisait comme un fragile cristal sous mes pas.
Dans un instant G. reposerait à leur côté.
Le fourgon funéraire qui transportait son urne a fait irruption.
L'instant ultime des adieux pouvait commencer.
Les enfants de mon oncle ainsi que leur mère tout juste arrivés ont pris place autour de la tombe béante.
Misérablement, nous n'étions qu'une dizaine dont moi, seul et unique émissaire parental.
J'ai pourtant immédiatement su que je ne participais pas d'une simple cérémonie.
J'avais un rôle important à y jouer, en dehors de la représentation familiale.
L'officiant des pompes funèbres, troublé a dit quelques mots brefs en mémoire de mon oncle.
Il n'y avait pas eu de cérémonie religieuse.
Mon oncle comme ses parents avait toujours entretenu un rapport conflictuel à la foi entre interrogation et négation d'un être divin présidant à toute destinée.
Je pensais que son fils aurait pris la parole, sa soeur étant bien jeune.
Mais les plaies étaient encore très vives.
Leur mère les avait éloignés de leur père. Son alcoolisme avait fait le reste.
Ils n'avaient pas encore eu la possibilité d'effectuer un nécessaire travail de recul.
L'urne dans le caveau familial, j' ai su que je devais m'adresser à eux.
En son nom, je leur ai demandé d'accorder leur pardon à leur père, s'ils avaient eu à souffrir de son état, ces derniers mois.
Je savais qu'ils avaient eu souvent honte.
Mais je leur ai dit la maladie.
Je voulais qu'ils se souviennent que c'était un papa aimant, attentionné et prévenant.
Celui qui les accompagnait à l' école, fier d'eux et de leurs résultats scolaires.
Celui qui ,inquiet, les veillait lorsqu'ils étaient souffrants.
Les bons moments qu'ils avaient partagés, les vacances, les excursions, les sorties, le savoir, les expériences transmises ne pouvaient, ne devaient pas être oubliés ou rayés d'un définitif et cruel coup de crayon.
C'est en les serrant ensuite très fort dans mes bras que les larmes libératrices ont enfin coulé sur leurs visages hermétiquement fermés.
Les sanglots pouvaient les secouer désormais, je savais que j'avais accompli la tâche qui m'était insconciemment dévolue.
Leur père vivrait à travers mes paroles, autrement.
J'avais restauré son image.
Ne survivraient pas que le côté obscur et sombre de la maladie, ni ses ravages et ses stygmates.
Il pouvait reposer en paix.
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