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24 Jan

Histoires et Secrets de Femmes : Marie .

Publié par Circé  - Catégories :  #Loi Veil, Planning Familial, CPEF, IVG.

Marie était le prénom de mon arrière grand-mère que j'ai eu la grande chance de connaître .
Marie a vécu jusqu'à 97 ans, a eu une vie riche de Bonheur et de Malheur avant que de s'éteindre sur une table d'opération pour s'être cassée le col du fémur.

Marie était la fille d'un petit notable de province, notaire de son état.
Elle était fille unique, aimée et choyée de ses parents.
Son premier gros chagrin a été le départ de sa mère.

Celle-ci avait rencontré un autre homme dont elle était tombée éperdûment amoureuse . Elle avait ainsi, grand scandale pour l'époque, divorcé pour suivre en Angleterre celui qui allait devenir son second époux.
Marie quant à elle, avait préféré rester aux côtés de son père plutôt que de suivre sa mère, bien que le choix lui ait été laissé.
 
Elle a poursuivi et terminé ses études brillamment avec un certificat d'études à la clé.
Ce qui pour l'époque était un diplôme que nombre de femmes et d'hommes ne pouvaient s'enorgueillir d'avoir obtenu.

Alors que son père aurait aimé qu'elle fasse un "bon" mariage, sous-entendu avec quelqu'un de sa classe sociale, Marie a rencontré celui qui allait devenir son mari, mon arrière grand-père. 
Seulement voilà, il était viticulteur, apiculteur aussi à ses heures et ne correspondait absolument pas au profil du gendre idéal et au beau parti qu'il espérait pour elle.
Cependant il ne pût se résoudre à lui imposer un époux et s'inclina devant son choix.

Leur mariage a été heureux, au début...
Un enfant, puis deux sont nés. Et août 1914 est arrivé.
La fleur au fusil son mari est parti "pour trois mois" !

Nous savons tous ce qu'il en a été, quatre années dévastatrices et inhumaines.
Cet homme a connu, assisté, participé aux pires horreurs.
Le froid, la faim, les tranchées, la boue, le sang, les gaz, la mort...

Il a survécu, est revenu la croix de guerre à côté de bien d'autres médailles épinglées sur sa poitrine.
Et n'a plus jamais été le même homme.
Les hurlements qu'il poussait dans les cauchemars qu'il faisait chaque nuit, le réveillaient, ne lui laissaient aucun répit.

Son seul remède était un verre d'alcool, puis deux, trois, quatre...
Mon arrière grand-père était devenu l'ivrogne, le soûlaud, le pochtron du village.
Celui qui chaque jour roulait dans le caniveau, celui que sa femme venait chercher et ramenait, affalé dans une brouette à la maison.

L'alcool ne le rendait pas seulement ivre.
L'alcool tuait en lui les souvenirs et son reste d'humanité.
D'un homme aimant, la guerre et l'alcool avaient fait de lui un monstre.

Non seulement il battait comme plâtre sa femme et ses enfants, mais leur faisait endurer les pires sévices, les jetant dehors tant le jour que la nuit, qu'il fasse beau ou par - 20°, qu'il pleuve ou qu'il neige, qu'ils soient habillés ou en vêtements de nuit, plongeant au gré de son inhumanité le plus jeune de ses enfants dans l'eau glacée de la fontaine du village, fouettant au sang l'aîné qui tentait de s'interposer, le menottant ensuite aux poutres du grenier de leur maison...


Et tout cela "au vu et au su" du village.
Pas un pour intervenir, trop peur de ce colosse .
Quant au curé du village, puisque mon arrière grand-mère était très croyante, sa seule contribution a été les paroles lénifiantes de sa condition :
-" Prenez patience, priez ma Fille..." et j'en passe et des meilleures (?).

Je ne sais plus où j'ai lu une ineptie du style :" L'homme dont je vous parle a eu la légion d'honneur, alors ce n'est tout de même pas n'importe qui."
Mon arrière grand-père avait une batterie de médailles et il était moins que n'importe qui...

Mais en matière d'indignité il a eu bien des successeurs médaillés dont Papon est le premier qui me vient à l'esprit .
Mon arrière grand-père avait au moins cette excuse de l'alcool, même s'il avait tenté de tuer toute sa famille à coups de hâche lors d'une de ses crises de délirium tremens.

Mon arrière grand-mère quant à elle, tentait du mieux qu'elle pouvait de faire vivre sa famille, d'éduquer ses enfants et de surtout leur éviter les coups qui fusaient à tous propos et n'épargnaient personne, pas même les plus petits.
Un troisième enfant était venu agrandir la famille, puis deux filles, des jumelles qui ne survécurent pas à une épidémie de rougeole et furent emportées à l'âge de 1 an par cette maladie. 

 

Le temps s'écoulait pour tous entre coups et survie, et rapports sexuels forcés, aujourd'hui reconnus comme viols, pour Marie.

Chaque fin de cycle menstruel était pour elle une épreuve.

Quand elle se rendit compte qu'elle était de nouveau enceinte .
Entre catastrophe et désespoir, elle n'a pas tergiversé.
Par tous les moyens elle a cherché à se défaire de cette grossesse non désirée .

Et tout tenté :
- Boire des pseudo potions destinées à faire revenir les règles, bien évidemment inefficaces .
- Des injections dans le bas-ventre de mélanges tout aussi douteux dont les effets ont été identiques aux "tisanes libératrices".

Et puis un nom de "faiseuse d'ange", de celle que les femmes d'alors connaissaient et dont elles se donnaient l'adresse sous le manteau.
Mais ce n'était pas à but non lucratif, et la somme demandée était bien trop élevée pour elle.

Alors, désespérée mais décidée à ne pas avoir de nouvel enfant, elle a fait ce qui se disait, à voix basse, au lavoir entre femmes tandis qu'elles rinçaient leur linge dans l'eau glacée de la source.
Elle a utilisé une aiguille à tricoter et puis a labouré, fourragé, ravagé son intimité.

Perforation de l'utérus, infection, hémorragie.
Durant plusieurs jours elle a été entre la vie et la mort.
Et puis la fièvre est passée, l'hémorragie a été jugulée .
Elle s'est relevée, libérée de ce fardeau terrible et insupportable pour elle.
La mort lui aurait semblé plus douce.

Plus jamais elle n'a été enceinte.
Mais de son propre aveu, bien des années plus tard :
" Cela a été une véritable bénédiction ".

Ces événements se passaient en 1922. 
Devons-nous en revenir à ça ?



.../...

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D
Merci de ce récit, très touchant. Il donne de la vérité, de la chair à un sujet qui ne peut se raconter simplement avec des théories et des principes.
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C
@ Olivier : Vous serez donc le deuxième homme à commenter ce sujet et je vous en remercie.Il y a effectivement la théorie et les principes . E la vie tout simplement . La confrontation des deux est souvent explosive, aussi, gardons de juger et prenons un nécessaire recul. 
M
J'ai été énormément touchée par cette histoire, dure réalité de ce qui se passait au temps de nos aïeux. Je pense, malheureusement, que nous en sommes à nous lamenter que trop souvent. <br /> Aujourd'hui nous avons les moyens! Servons-nous en ! Pourquoi se donner des états d'âme, pour faire bonne conscience !
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C
@ Mamirock : "Se donner des états d'âme pour faire bonne conscience".Comme vous avez raison ! Oou parce que l'on a rien à faire d'autre que de vouloir donner des leçons de morale à des femmes qui doivent supporter seules le poids de la société quelqu'en soit le temps, avant-hier, hier ou aujourd'hui. L'avortement n'est pas une décision qu'une femme prend à la légère. Avant que d'en arriver là, il y a une situation sociale, personnelle, psychologique, physique. Et nul n' a le droit de se substituer à elle pour lui dire quoi faire. L'avortement est une douleur et un échec. C'est déjà bien suffisant pour ne pas en rajouter. Je crois qu'il y a assez à faire dans d'autres domaines, par exemple dans les prisons pour occuper ces parangons de vertu. Mais sans doute ceux qui sont en prison, outre que c'est sans doute bien fait pour eux, ne méritent guère l'attention de ces gens "très bien" ?
M
Chère Circé,<br /> <br /> Je n'est malheureusement pas eu connaissance de la pétition en ligne ... Peut-être voir directement avec le collectif Abresid ?
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" Pourquoi une Femme entière ne serait-elle qu'une moitié ? "