Au Pied de mon Arbre...

 
C'est une histoire banale, qui a commencé au début de l'année scolaire 2006.

Mais elle se passe aux Etats-Unis, en Louisiane plus précisément, dans la petite bourgade de 3000 âmes appellée Jena.

C'est cependant le sud profond, celui qui fait partie de la "Bible Belt".

L'objet de l'affaire qui s'amorce est un arbre.
Un bel arbre au feuillage touffu et à l'ombre bienfaisante, sous lequel il fait bon s'abriter pour prendre son déjeûner quand il fait chaud .

Il faut cependant que je vous précise qu'il est situé en plein milieu d'une cour de lycée .
Vous le savez sans doute, il n'y a pas de cantine scolaire aux Etats-unis .
Chacun amène son repas et le prend sur place .
Aussi l'arbre est un endroit très apprécié et tout le monde s'installe là.

                                              
Enfin, tout le monde...Non .
Depuis toujours, seuls les blancs prennent le frais sous cet arbre.
Certains diront que c'est un accord tacite .

Pour ma part, aucun doute ce sont les reliquats puants de la politique ségrégationniste des états du sud.
Mais je poursuis mon histoire .

Donc trois jeunes noirs, voulant eux-aussi bénéficier de la fraîcheur de la frondaison se rendent chez le proviseur pour demander l'autorisation de prendre leur repas à cet endroit, comme les autres élèves blancs de l'établissement.

Sans difficulté, le proviseur accède à leur demande et le jour-même ils déjeûnent tranquillement à l'ombre de l'arbre.
Seulement le lendemain, lorsqu'ils veulent de nouveau s'installer au même endroit, trois cordes à noeuds coulants pendent tranquillement à une branche, rappelant à leurs bons souvenirs les lynchages en règle du détestable Ku Klux Klan. 

L'auteur de la "plaisanterie", terme utilisé à la fois par le proviseur et le shériff de la ville écope de trois jours de mise à pied.
Mais l'ambiance est plombée et tout va dégénérer.

Des incidents ont lieu dans le lycée .
Plus tard, un jeune noir est agressé, sommé de ne pas se présenter à une fête réservée aux blancs .
Puis un jeune blanc vise à l'aide de sa carabine deux jeunes noirs dans un self-service qui le désarment, mais sont aussitôt inculpés de vol d'arme.
Enfin, une bagarre éclate, un jeune blanc est légérement blessé, perd connaissance, est conduit à l'hôpital par mesure de prudence d'où il ressort très vite en fin d'après-midi pour aller à une fête à laquelle il se rend sans problème.

Seulement, à la suite de cette dernière altercation six jeunes noirs sont arrêtés.
Et l'un d'eux âgé de 17 ans, est passé au tribunal pour adultes en septembre dernier.
Tribunal uniquement composé de blancs, avec le motif suivant : agression avec armes par délégation.
Quelles armes ? Mais ses poings tout simplement.

L'affaire à fait grand bruit dans la communauté afro-américaine.

Il faut dire que pour le même délit un noir est quatre fois plus condamné qu'un blanc et à la peine la plus lourde, alors que dans les mêmes conditions, un blanc se voit infliger une simple admonestation, au pire une peine avec sursis .

Donc grande manifestation à Jena le 20 septembre dernier avec les révérends Jesse Jackson et Al Sharpton militant de la cause noire, le fils de Martin Luther King, Martin  Luther King III et une foule nombreuse.

Comme aux plus belles heures des marches pour la lutte des droits civiques des noirs des années 60, ils ont investi la ville de Jena et manifesté.

Les commerçants eux, ont par précaution baissé le rideau de leurs boutiques.
 
Le jugement a été cassé par la cour suprême.
Le jeune homme sera rejugé devant un tribunal pour enfants.

Le président Georges Bush pour sa part a déclaré :
-" Les événements en Louisiane m'ont attristé et je comprends les émotions ", sic.

Quant au proviseur, et bien il a tout simplement fait abattre l'arbre séculaire qui lui a valu tant d'ennuis !

Et moi, je vous raconte cela en pensant :
- " Décidemment, ces américains, ils sont indécrottables et n'en finiront jamais avec leur passé esclavagiste et ségrégationniste ."

Mais au fait, que pensent-ils de nous ? 

Et bien dans un éditorial très récent du New-York Times intitulé : 
" Bigoterie pseudo-scientifique en France" ,
Ils nous étrillent joyeusement, à propos de la nouvelle loi contre l'immigration et la mise en place de tests ADN.
Ils nous accusent ( à tort? ) de ne pas nous souvenir de notre passé, de nos errements tragiques sous l'occupation nazie et leurs collaborateurs de Vichy " avec la mise en place d'une politique de lignée pure.

Mais je vous conseille ce lien qui traite fort bien de cet article :
http://placedelarepublique.wordpress.com/2007/10/22/le-new-york-times-contre-la-loi-adn/

Ainsi, d'un côté de l'atlantique ou de l'autre, notre histoire est toujours présente.
Le temps passe, et forts ou faibles de notre passé, nous nous croyons à l'abri des hoquets terribles de l'histoire.

Et puis, insidieusement nous votons des lois sans prendre garde à leurs significations. 

Nous remettons le doigt dans l'engrenage ouvrant la porte à n'importe quoi ou n'importe qui pour la détourner et l'utiliser à des fins honteuses et terribles .

" Hideuse", c'est le terme utilisé par le N.Y.T pour qualifier cette loi .
                               Et je suis d'accord avec eux .

Comments

[Kamizole]

J'avais lu les articles du Monde consacré à cette histoire affreuse mais comme toujours, bousculée par l'ampleur de ce que j'ai à faire et tout ce qui n'est pas fait... Merci d'en parler. J'ai eu comme une impression de déréalité, comme si rien n'avait changé depuis les années 50... J'avais lu très jeune le livre d'une jeune française (99 $... ? le prix d'un "passe" Greyhound qui lui permettait de voyager plusieurs semaines dans ces autocars à la découverte des Etats-Unis et sa confrontation avec cette politique de ségrégation raciale qui nous indignait.
Elle nous paraissait d'autant plus incongrue qu'elle n'existait pas dans l'armée américaine stationnée en France... Ma mère travaillait en tant que civile pour l'armée américaine implantée à Orléans et dans les environs. Elle n'aurait pas manqué de s'indigner. J'ai de qui tenir !
Bravo pour ce blog qui s'étoffe de jour en jour.

[Circé]

BCT, je suis désolée, je viens de m'apercevoir que j'ai fait paraître ce billet hier soir, alors que je voulais le sauvegarder en brouillon, n'ayant pas terminé sa chute.
Oui, la bête sommeille d'un côté ou de l'autre de l'atlantique.

[BCT]

Rien n'est réglé. C'est un combat de tous les jours. Pour ceux qui veulent s'informer sur les années 60/70 je leur conseille "Mississipi burning". La bête sommeille ?