Graine de Terroriste...(I)
La pharmacienne, aimable et commerçante, me remit, d'un geste convenu, la médication plus que centenaire que je venais de lui commander.
Cependant, elle ne pouvait celer malgré son attitude discrètement surprise, combien le sourire esquissé dans un premier temps sur mon visage et qui s'épanouissait maintenant, large et franc, la décontenançait. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir tenté de le juguler, ce sourire, qui menaçait à tout instant d'exploser en cascades de rires...
Mais comment réprimer son enfance. Celle triomphante qui refleurissait en cet instant, sur mon visage réjoui et attendri, celui de celle qui autrefois petite fille était aujourd'hui devenue grand-mère ?
Madame la Pharmacienne, pouvait-elle seulement se douter combien cet achat me ramenait en ce passé si proche et si lointain, toujours aussi vif en ma mémoire, malgré le demi-siècle écoulé...
52 années. 52 années quasiment jour pour jour depuis cet anniversaire, ces 7 ans que je fêtais chez mes grands-parents, en compagnie de mes cousins, cousines, oncle, tante et frères cadets. Une belle journée ensoleillée de mois de juin, une jolie robe, une poupée, cadeau alors hors de prix, un gateau et quelques photos sépia qui ont traversé le temps pour en attester.
C'est au lendemain de cet anniversaire au moment où la sonnerie du téléphone déchire le calme babillant du début de matinée, que la genèse explosive de mon histoire prend vie. A l'heure du petit déjeuner, alors que les petites cuillères deviennent reines en cuisine. Elles y tintinnabulent et résonnent, faisant chanter les parois des bols à café où en de grands tourbillons lait et élixir noir fusionnent. Miel ou sucre s'y perd, happé par l'abîme du vortex matinal, et distille sa douce saveur tandis que les éclats de voix des chicaneries entre les enfants que nous étions alors, mes frères et moi, prennent le pas sur le concert écumant.
Et c'est à qui aura la plus grosse part de crème du lait bouilli la veille au soir, ou bien une nouvelle tartine de pain de campagne et sa belle garniture de beurre demi-sel ou encore de confiture de fraises, de rhubarbe ou de tomates vertes.
C'est pendant ce joyeux tohu-bohu que la sonnerie du téléphone en bakélite noir qui trône en majesté dans la pièce d'à côté et qui sert de salle à manger, retentit bruyamment. Et nous vrille les tympans. Ma grand-mère s'y précipite, décroche le combiné, et d'un même geste accole à son autre oreille l'écouteur rondouillard jusqu'alors accroché au séant de l'appareil. Une opératrice la met aussitôt en relation avec un interlocuteur, là-bas, de l'autre côté du standard téléphonique.
Le temps est comme en suspens, car nous tendons tous l'oreille. Un appel n'est pas habituel et il faut un événement d'importance pour que la matinée soit ainsi troublée.
La conversation qui s'engage est enjouée :
- " Allo? ...
- C'est toi Jeannot ?...
- Alors ? ...
- Oh c'est un beau bébé vraiment...
- Embrasse Danielle pour nous, j'avertis les enfants..."
Je l'entends reposer le téléphone. J
- " Toutoune est encore grande soeur et elle a un nouveau petit frère. Il s'appelle Frédéric et pèse plus de 4kgs400 ! "
Des mots comme un grand coup de tonnerre et la foudre qui s'abat sur moi par temps clair...
Je suis abasourdie.
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