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06 Jan

La Margotte au Georges. (XIII)

Publié par Circé  - Catégories :  #Ecriture, #Chroniques Circéennes, #Enfance et Souvenirs, #Nouvelle

Georges avait une bouffée de tendresse en pensant à "J'ai Soif ". Dix jours que celui-ci avait été enterré au carré des indigents. Mr Prégent, l'instituteur et néanmoins Maire du village, avait fait fouiller le bosquet où "J'ai Soif" avait élu domicile. C'est là qu'un livret de circulation y avait été retrouvé parmi ses maigres affaires. Les formalités d'usage accomplies pour son inhumation, Mr Prégent en avait avisé les autorités, afin que sa famille, s'il en avait une, soit informée de son décès. La nouvelle qui parcourait tout le village depuis le matin, et qui s'était répandue comme une traînée de poudre, en avait confondu plus d'un. Georges y pensait, attendri.


 

Dans une autre vie "J'ai Soif" avait été Michel, professeur de mathématiques émérite promis à un bel avenir, où il devait intégrer un centre de recherche renommé. Mais une voiture hors de contrôle avait poursuivi sa course folle jusque sur le trottoir où sa femme et son jeune fils déambulaient. Elle y avait cueilli leurs vies aussi simplement que l'on fauche les fleurs des champs. Michel qui ne s'en était jamais remis, bataillait en ses cauchemars contre la camarde qui les lui avait enlevés. Mais ayant irrémédiablement perdu ses boussoles, il avait troqué sa vie de professeur de mathématiques contre celle de "J'ai Soif".


 

Songeant à cela, Georges en était certain, même en rejoignant ses étoiles, " J'ai Soif " lui avait fait un dernier clin d’œil à sa façon. La découverte de son corps sans vie, et tout ce qui s'en était suivi avait complètement éludé la dernière incartade de sa pie. Et il l'en remerciait en silence, le nez dans les constellations qui scintillaient et illuminaient ce beau soir d'été.


 

Maurice lui avait cependant donné un nouvel avertissement, quant au sort de Margotte, et ce qu'il conviendrait de faire tôt ou tard pour lui rendre sa liberté. Georges n'était pas prêt à cela, et il ne voulait penser qu'au nouveau sursis qui venait ainsi de leur être accordé à tous deux.


 

Margotte avait repris sa place au poulailler et chacun veillait dorénavant, à ce que la porte soit bien fermée après leur passage, pour y nourrir les volailles. Et Georges continuait à la sortir, attachée avec la grande cordelette nouée d'un côté à la patte de l'oiseau et de l'autre à son poignet. Les vacances d'été se terminèrent sans autre anicroche, en ce qui concernait Margotte, et l'école avait repris en cette dernière semaine de septembre.


 

Les petits venaient justement de rentrer, et prenaient leur gouter composé d'un belle tranche de pain beurrée, surmontée de quatre beaux carrés de chocolat noir, ainsi que d'une petite jatte de compote de pommes et de rhubarbe, que Louise avait confectionnée l'après-midi même.  Celle-ci les pressait gentiment, alors qu'ils s'attardaient plus qu'il ne fallait à se restaurer. Car ils avaient encore leurs leçons à réviser et leur poésie à apprendre, et s'ils voulaient jouer un peu avant le repas, il fallait qu'ils s'activent un peu.


 

Ils terminèrent donc leur quatre-heures sans plus traîner, débarrassèrent la table que Louise essuya, puis sortir leurs livres et leurs cahiers. Tandis qu'ils révisaient, Louise se remit à son ouvrage, interrompu au moment de leur arrivée : une brassière qu'elle tricotait, destinée au petiot de sa cousine Thérèse qui venait d'accoucher. La laine filait gracieusement entre ses doigts, et les cliquetis des aiguilles faisaient échos aux chuchotis des enfants.


 

Sur ces entrefaites, Bleuette fit son entrée à la cuisine, suivi de peu par Georges et sa Margotte qui se pavanait sur son épaule, tout en et jacassant, et fourrageant son bec dans sa tignasse. La chatte qui se dirigeait vers sa gamelle fut rejointe par une Margotte qui avait bien décidé de partager avec elle sa jatte de lait. La façon drôlatique qu'elle avait de rejeter sa tête en arrière pour laisser s'écouler le lait dans son gosier fit rire les enfants. Elle s'en aspergeait copieusement, éclaboussant au passage Bleuette qui visiblement n'appréciait guère.


 

Celle-ci décida de s'éloigner, faussement stoïque et entreprit une toilette soigneuse de son pelage. Toilette qu'elle interrompit rapidement. Les prunelles dilatées, elle observait la pelote de laine qui se dévidait, fil courant en un mouvement régulier, du panier de Louise jusque dans les doigts de celle-ci, tandis qu'il se balançait de droite et de gauche au rythme du jeu de son croisement minutieux avec les aiguilles. Bleuette aux aguets se tapit, dandinant de l'arrière-train, prête à bondir. Margotte intriguée avait, elle, cessé de boire et observait Bleuette.


 

Ce qui se passa ensuite fut un chahut indescriptible.


 

Bleuette, comme une belle diablesse sortant de sa boite, voltigea, plus qu'elle ne sauta sur la pelote de laine, la cramponna entre ses pattes, tout en amorçant un roulé-boulé acrobatique, qui renversa le panier. Surprise par le poids soudain de la laine, Louise en lâcha son tricot. A cet instant, Margotte qui ne perdait pas une miette de la scène qui se déroulait sous son regard de pie, plongea sur l'une des aiguilles qui gisait au sol, et s'envola en l'emportant dans bec. Bleuette, toujours bondissante, s'élança alors sur le fil de laine qui s'élevait dans les airs, accroché par le petit ouvrage dont les mailles tenaient encore à l'aiguille. De fait, Margotte s'en trouva déséquilibrée, et entraînée vers le sol par le poids de la chatte. Toutes deux se retrouvèrent au sol dans un bel ensemble, miaulant et piaillant à qui mieux-mieux.


 

Pendant ce temps-là, Louise criait, tentant vainement de rattraper son ouvrage. Les enfants, eux, se tordaient de rire, tandis que le pauvre Georges essayait désespérément de rattraper ou la chatte, ou la pie qui s'en donnaient à cœur joie, l'une courant comme une folle d'un côté sur l'autre, la pelote de laine dans la gueule, l'autre, ayant lâché l'aiguille pour rattraper le fil de laine tout en volant dans tous les sens.


 

Le résultat ne se fit pas attendre. La petite brassière en son début, revint à l'état zéro de la création. Ce ne fut plus que fil emmêlé en tours et détours dont il ne fallait plus rien espéré. Même avec la patience d'une tricoteuse émérite, le fil était de toute façon perdu, tiré, cassé, effiloché...


 

Georges fulminant et à bout de patience, s'égosilla en intimant l'ordre aux petits de se taire, à sa mère de s'asseoir, aux animaux d'arrêter en les appelant chacun leur tour et avec fermeté.


 

Ce fut comme un instant suspendu dans le temps. Les petits s’exécutèrent, sa mère aussi. Ce fut plus difficile pour Margotte et Bleuette. Cependant le silence les interpella sans doute. La chatte s'arrêta donc de courir et avisant le spectacle de désolation de la laine et des aiguilles ainsi que celui courroucé du visage de Louise, se faufila ventre à terre sous le buffet de la cuisine où elle se terra. Margotte se retrouvant seule, choisit elle de se percher en son faite, tout en continuant à criailler et à ouvrir ses ailes brusquement pour s'ébrouer. Elle finit cependant par se calmer.


 

C'est perché sur une chaise que Georges, finit par rattraper Margotte; Il la fourra sous sa chemise, puis la ramena directement au poulailler. Revenant vers la cuisine, il se retrouva nez à nez avec les petits qui s'éclipsaient en gloussant. Quant à Louise, accroupie au pied du buffet, elle tentait d'attirer Bleuette à elle. Cette dernière se rendant bien compte qu'elle avait accompli une faute dont elle allait subir les conséquences, se tapit un peu plus encore si cela était possible; tout contre le mur.


 

Agacée, Louise finit par l'attraper sèchement par la peau du cou, puis la tenant ainsi jusqu'à la porte, lui asséna une tape sur l'arrière-train, en la mettant dehors. Se retournant vers Georges, son regard ne disait rien qui vaille.


 

 


 

La Margotte au Georges. (XIII)
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