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31 Dec

La Margotte au Georges. (XII)

Publié par Circé  - Catégories :  #Ecriture, #Chroniques Circéennes, #Enfance et Souvenirs, #Nouvelle

" J'ai soif" était un vagabond. C'était un marginal refusant d'être enfermé entre les quatre murs d'une maison ou d'avoir d'autre ciel de lit que le manteau étoilé de la nuit.

 

Il connaissait le nom de toutes les étoiles, de toutes les constellations. Il pouvait, disait-il en lire l'histoire infinie du monde, son passé comme son avenir. Un jour, les hommes iraient sur la lune, il en était certain. D'ailleurs les popov avaient déjà envoyé un spoutnik qui tournait autour de la Terre. Et même que peut-être, il y avait ailleurs d'autres êtres, sur Mars, Jupiter ou Saturne, où que sais-je encore ?

 

C'est ce qu'il avait expliqué à Georges, un soir de 14 juillet, lors de la retaite aux flambeaux. Ils se connaissaient tous deux pour s'être rencontrés à de nombreuses reprises lors des pérégrinations de Georges dans la campagne. Malgré le peu de mots échangés ils s'étaient reconnus et se respectaient mutuellement. L'un surpris par la connaissance et l'attachement de ce gamin à la nature et aux animaux. L'autre voyant en l'homme solitaire, un autre lui-même, mais avec des douleurs qu'il ne comprenait pas.

 

Le 14 juillet était l'une des rares occasions où "J'ai Soif" se mêlait à la vie du village, en dehors des travaux qu'il effectuait chez les fermiers, ou bien lorsqu'il venait acheter du pain, du tabac et force mauvais vin. Un picrate dont il avait la musette pleine et qu'il descendait goûlument en soirée. Cela le mettait dans des états affreux où il poussait des hurlements terrifiants et se battait avec des ennemis invisibles qu'il insultait copieusement. Mais la plupart du temps, il finissait par s'effondrer, secoué de profonds sanglots où seul le désespoir semblait l'habiter. Puis il sombrait dans un sommeil sans rêve, mais sans douleur.

 

Les enfants avaient d'ailleurs interdiction de l'approcher en fin de journée.

 

Car bien entendu, la méfiance avait été de mise à son arrivée. Mais il avait refusé la mendicité et fait quelques menus travaux que l'on avait bien voulu lui confier au village. Et comme son ouvrage était bien fait, il trouva à se placer comme journalier dans les fermes avoisinantes. Il était dur à la tâche et cela lui valait respect. Ce qui n'avait pourtant pas empêché certains d'aller l'épier en soirée. Histoire de voir ce qui se trâmait du côté de l'éphémère couche qu'il s'était aménagée dans un bosquet, juste entre la saulaie et le chemin qui menait au grand gué.

 

Mais les démons nocturnes de " J'ai Soif", avaient impressionné ceux qui s'étaient improvisé voyeurs. Et comme celui-ci n'avait jamais manqué de respect à qui que ce soit au village, il n'y eût plus de surveillance suspicieuse.

 

Le grand gué était un bras de rivière où tous les enfants du village venaient se baigner en été. Ils y apportaient serviettes et gouters, mais surtout, faisaient rouler jusqu'à la rivière et tout au long du chemin, d'immenses chambres à air de tracteur bien souvent aussi grandes qu'eux. Il arrivait que nombre de cailloux pointus qu'elles y rencontraient leur laissaient traces. Et c'était sur elles, foisonnement de belles rustines figurant cicatrices. Arrivées au cours d'eau, elles devenaient selon leur imagination, radeau ou rafiot, île mystérieuse ou monde perdu. Et c'était éternelle bataille entre les bons et les méchants qui ne manquait jamais d'exister dans les histoires qu'ils vivaient.

 

Ceux qui restaient sur l'une des bouées tandis que les autres, un à un tombait à l'eau, avaient gagné. Cependant, il fallait toujours se méfier de celles ou ceux qui n'ayant pas de bouées ou qui n'avaient tout simplement pas été retenus pour le jeu, s'approchaient en catimini sous l'eau, et renversaient sans distinction les uns et les autres. Ce qui finissait plus souvent qu'à son tour en bataille générale de lancer de vase !

 

Les enfants, eux, n'avaient pas peur de "J'ai soif". Celui-ci les regardait souvent avec un regard humide lorsqu'il les croisait chez l'épicier-cafetier. Le commerce de celui-ci était divisé en deux parties. D'un côté le bar-café, de l'autre l'épicerie, avec entre les deux, une grande porte qui restait constamment ouverte. Ce qui lui permettait, comme il servait des deux côtés, de surveiller les entrées ou sorties des uns ou des autres.

 

" J'ai soif", lorsqu'il était au bar, à boire un café mais plus souvent un canon de rouge, criait alors aux enfants qui étaient dans l'épicerie, à faire une course pour leurs parents, de se servir en carambar, roudoudou ou sucette. Le cafetier qui en avait l'habitude, lui mettait alors, le coût des friandises sur sa note. 

 

Du plus loin qu'il se souvenait de lui, Georges avait toujours aimé l'immense tatouage que "J'ai Soif" portait sur son dos et qui lui avait valu son surnom. C'était une véritable œuvre d'art représentant une magnifique goélette qui piquait de l'avant et naufrageait, déjà à demi engloutie par des flots rageurs. Au dessus de la scène, un bandeau, tel un oriflamme claquant au vent proclamait : " J'ai soif " en lettres gothiques.

 

Georges aimait à regarder le bleu presque noir de son tatouage sur sa peau tannée et cuivrée par le soleil, lorsque "J'ai Soif" venait faire un brin de toilette dans la cour de ses parents. Ces derniers lui en avaient donné autorisation peu de temps après son arrivée, la fontaine du village ne fonctionnant plus.

 

Mais Georges venait d'apprendre la triste nouvelle. Après plusieurs jours d'une disparition inquiétante, " J'ai Soif" venait d'être retrouvé mort au beau milieu d'un champ de blé. Le Maire venait d'en être avisé.

 

Géorges en eût un pincement au coeur. Il s'en voulait de ne pas l'avoir retrouvé, lui qui avait participé aux recherches qui avaient été faites mais qui s'étaient avérées vaines.

" J'ai Soif " allait lui manquer. Mais il était maintenant avec ses lointaines et brillantes étoiles.

 

 

La Margotte au Georges. (XII)
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" Pourquoi une Femme entière ne serait-elle qu'une moitié ? "